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chotte ; tout extravagant qu’il est, il n’est pas si complètement en dehors des mœurs de son temps qu’on pourrait le croire, ce qui donne une sorte de vraisemblance à sa folie. Le pas d’armes de Suerro Quinones n’est pas le seul fait de ce genre ; il en est d’autres d’une époque encore postérieure. Lord Surrey, au xvie siècle, défia tous les chevaliers qui passeraient sur un pont de l’Arno, pour leur prouver que sa dame, la belle Géraldine, était supérieure en beauté à toutes les autres dames ; on a les termes du défi de ce lord Surrey, qui appartient aussi à l’histoire littéraire, comme auteur de sonnets élégans. Ce défi est fort semblable à ceux que proposait le chevalier de la Manche ; il était adressé à tous ceux qui pouvaient tenir une lance et qui étaient amoureux. Turcs, Juifs, Sarrazins ou Cannibales, et fut proclamé sous l’autorisation du grand-duc. Un nombre considérable de chevaliers se présentèrent, et furent battus à la grande gloire de la belle Géraldine ; ceci se passait entre Luther et Bacon. Surrey vint rencontrer en Angleterre une terrible réalité, le très peu chevaleresque Henri VIII, et se heurter contre le billot. Catherine Howard y avait laissé sa tête, et il y laissa la sienne.

Outre les tournois et les pas d’armes qui étaient des combats innocens, dans lesquels on se tuait quelquefois par accident sans que cet accident tirât à conséquence, il y avait des rencontres à fer aigu, vrais duels entrepris souvent, malgré leur nature homicide, sans haine, pour plaire aux dames et pour les glorifier. On observait, au milieu de la mêlée, dans des guerres réelles, les lois de la chevalerie : ainsi l’on s’abstenait de porter certains coups. Il reste quelque chose de ces mœurs dans les duels des étudians allemands de nos jours : certaines blessures sont interdites ; et les paysans norvégiens décident, par une convention préalable, jusqu’à quelle profondeur il sera permis d’enfoncer le couteau.

La chevalerie errante, qui paraît ce qu’il y a de plus fabuleux dans toute la chevalerie, a une origine réelle, et M. Fauriel l’a retrouvée dans les mœurs provençales dès le xiie siècle. Seulement elle paraît avoir été un état passager qu’on embrassait pour un temps, et qu’on quittait ensuite, plutôt qu’une profession pour toute la vie. Mais le mot et la chose existaient, Raimbaud de Vaqueiras, saisi d’un désespoir amoureux, va se jeter dans la chevalerie errante. Plus tard, nous voyons, chez Brantôme, que Galéas de Mantoue, reconnaissant de ce que la reine Jeanne de Naples avait dansé avec lui, fit vœu d’être chevalier errant jusqu’à ce qu’il eût amené aux pieds de la princesse deux chevaliers captifs, et il accomplit son vœu. Voici