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LE MAROC.

distinguaient, entre tous ces brigands des mers, par leur audace et leur férocité ; aussi est-ce par eux que la conquête commença. Fedinand-le-Catholique envoya contre leur ville une flotte aux ordres du duc de Médina-Sidonia, qui s’en empara. Les Barbaresques tentèrent souvent de la reprendre sans y parvenir jamais. Ils firent une dernière tentative en 1774 ; un fils du roi de Maroc, fit le siége de la place à la tête de soixante mille hommes. Il tira dessus treize mille coups de canon, il y jeta six à sept mille bombes ; mais, après quatre mois d’efforts inouïs des deux parts, les Barbares furent obligés de se retirer. Ils avaient été plus heureux à Peñon de Vélez ; après un siége infructueux, la place leur avait été livrée, en 1522, par un officier de la garnison, qui avait assassiné le gouverneur pour venger son honneur outragé. Tous les chrétiens, à la seule exception du traître, furent massacrés. Deux fois l’Espagne tenta de ressaisir ce poste important ; enfin elle réussit à s’en emparer en 1664. Dès-lors elle n’en a plus été dépossédée.

Ces différentes places ne furent long-temps que des postes militaires ; on ne songea à en faire des présides que beaucoup plus tard. Aujourd’hui elles n’ont pas d’autre destination, et l’on semble avoir oublié l’objet et les causes premières de la conquête. C’est dans les temps de guerre civile et de révolutions que ces durs séjours sont surtout peuplés. Les différens partis s’y exilent tour à tour. Les absolutistes y déportaient les constitutionnels en 1823 ; maintenant, ce sont les absolutistes qui y sont déportés, et les Barbares assistent d’un front impassible au spectacle mouvant de ces cruelles péripéties. Il est assez triste que la civilisation européenne ne soit représentée chez eux que par des prisons. S’ils ne la jugent que par là, quelle idée en doivent-ils prendre ! et comment s’étonner qu’ils lui témoignent une hostilité si implacable ?

Le commandant de Ceuta nous avait donné un adjudant pour nous faire les honneurs de la place et nous conduire partout. Il nous fit parcourir les fortifications, et nous conduisit hors de la ville jusqu’à la ligne de démarcation, tracée par un ravin profond, entre le territoire espagnol et l’empire marocain. Le site est pittoresque, quoique sec et absolument nu. On y voit encore les ruines d’une forteresse portugaise et quelques lambeaux de murs romains, dispersés çà et là dans la campagne, car Ceuta fut quelque temps capitale de la Mauritanie Tingitane, sous le nom latin de Septum. Quelques troupeaux maigres broutaient une herbe rare et chétive, et plusieurs taureaux erraient d’un air sombre dans cet étroit pâturage. Devant nous se dressait le