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DE LA FABLE DE PROMÉTHÉE.

collision et la fureur des partis, on finit toujours par arriver à l’heure où il faut se rencontrer face à face avec Dieu. Alors les anciennes questions, dont on se croyait pour jamais débarrassé, résonnent de nouveau : Qui es-tu ? Que crois-tu ? Qu’attends-tu ? En vain on en détourne son oreille, elles ne cessent point de retentir, qu’on n’y ait fait une réponse.

Combien cela n’est pas plus frappant si vous appartenez à l’une de ces époques où la religion subit, dans les esprits, un incontestable changement ! C’est alors que se réveillent les grandes énigmes posées par les sociétés précédentes, et qui n’ont point encore été résolues. Dans l’ignorance où chacun se sent tout à coup replongé, ces antiques emblèmes de la curiosité de l’ame humaine semblent faits tout exprès pour le temps où vous vivez. La différence fondamentale qui sépare les âges de l’humanité ayant disparu avec la foi positive, tous les siècles se trouvent subitement rapprochés dans une même communauté de doutes et d’angoisses morales ; il n’y a plus ni Grecs, ni barbares, ni gentils, ni chrétiens, ni anciens, ni modernes, mais une même société d’hommes réunis autour d’un même abîme, et qui se font les uns aux autres la même question presque dans les mêmes termes.

Les Grecs avaient, il semble, emprunté de l’Orient la tradition de Prométhée. Au sortir du moyen-âge, cette tradition a été traitée par Calderon. De nos jours, elle a préoccupé à des degrés différens Gœthe, Beethoven, Byron et Shelley. Chacun de ces poètes a pu être original à sa manière ; ce sujet étant du petit nombre de ceux qui, enfermant, dès le commencement, toutes les questions qui se rattachent à l’homme, ne peuvent, en quelque sorte, être épuisés que par l’humanité même.

Si Prométhée, comme l’indique son nom, est l’éternel prophète, il s’ensuit que chaque âge de l’humanité peut mettre de nouveaux oracles dans la bouche du Titan. Peut-être même n’est-il aucun personnage qui se prête davantage à l’expression des sentimens d’attente, de curiosité, d’espérances prématurées et mêlées de regrets, dans lesquels notre temps est enchaîné. Je remarque, à cet égard, que toutes les fois que le poète, le sculpteur, le peintre, ont exprimé ce que l’on appelle aujourd’hui des pensées d’avenir, ils ont dû se servir pour cela des formes et des figures du passé. En soi, l’avenir est une abstraction sans corps, sans forme, et qui n’existe nulle part. Sitôt qu’il devient une réalité, il se convertit en un présent qui a lui-même un passé. Exiger du poète qu’il forme seul, et de sa propre substance, le monde de l’avenir sans aucun des débris d’un monde