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DE LA FABLE DE PROMÉTHÉE.

divin. Je suppose même que l’on vînt à bout de copier littéralement les lignes et les formes de l’antiquité, ne manquerait-il pas toujours à cet art la première condition de la beauté, c’est-à-dire la vie ? Mort en naissant, sans rapport avec aucun des élémens du monde réel, il appartiendrait à la classe des monstres. Au contraire, pour qu’une œuvre fondée sur la tradition de l’antiquité soit vivante, il est nécessaire qu’elle pénètre d’un esprit nouveau, et pour ainsi dire d’une ame nouvelle, les formes éternellement belles d’où l’esprit de l’humanité s’est retiré. C’est dans ce sens seulement que l’artiste imitera véritablement la nature, car elle aussi, poète par excellence, ne tire rien de rien ; mais, dans chacune de ses créations, elle se conforme à un type ancien, qu’elle anime d’une nouvelle vie. Elle travaille sur cet ancien modèle ; elle le développe, elle l’accroît, elle le modifie au dedans et au dehors. À la fin, elle en tire de nouvelles organisations, dans lesquelles un œil exercé découvre seul le type qui a servi de point de départ. Tel est aussi le procédé de l’art, soit qu’en cela il imite en effet la nature ou plutôt qu’il soit une partie supérieure de la nature elle-même.

La littérature tout entière des modernes n’est que la confirmation de ce qui précède. Dante, Calderon, Fénelon, Racine, Milton, Camoëns, pour ne parler que des morts, ont surabondamment prouvé avec quelle facilité les sujets de la haute antiquité grecque se laissent interpréter et pénétrer par le génie de l’ancien et du nouveau Testament. Raphaël, que l’on a dit avec tant de raison être fils d’un ange et d’une muse, offre en foule des preuves plus frappantes encore de cette alliance. Quant aux créations les plus inexplicables de Michel Ange, je n’avance rien qui ne puisse être montré du doigt, en disant que ce sont, pour le plus grand nombre, des types de la statuaire païenne, agrandis par l’esprit de la Bible, Platon interprété par les prophètes. De là, il semble que, ramener les sujets de la haute antiquité aux traditions vitales du christianisme, ce soit rattacher à une souche commune les rameaux qui en ont été détachés par le temps.

De plus, si dans l’antiquité grecque il y avait des germes de christianisme, il resta au sein du christianisme un bien plus grand nombre de débris et de souvenirs du monde païen. Les dieux ne tombèrent pas en un moment. Chassés de l’Olympe, ils obsédèrent long-temps encore la pensée des peuples. Sous la forme de démons, ils remplirent les imaginations encore à moitié profanes des solitaires. En montrant comme existant à la fois les dieux antiques sous cette