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ligence, certaines pensées de salut se sont conservées dans les solitudes incultes des anachorètes et sur des monts escarpés, de même, aujourd’hui, il n’est peut-être pas inutile que les traditions de quelques dogmes sacrés (sans lesquels nulle civilisation n’est possible), se conservent à l’écart dans un petit nombre d’ames inconnues ou reniées : poètes, philosophes, prêtres, artistes, rêveurs, qu’importe leur nom.

Après avoir été successivement théocratique, aristocratique, monarchique, si l’art se faisait aujourd’hui le précurseur de l’unité sociale à laquelle sont conviées toutes les démocraties modernes ; sans se laisser aveugler par l’esprit de système, si l’artiste, fidèle toutefois aux traditions et au génie de son pays, étendait ces traditions et ce génie de telle sorte qu’ils devinssent l’expression non d’un homme, mais d’un peuple ; non d’un peuple, mais de tous les contemporains ; non d’un moment de l’histoire, mais de tous les âges de l’humanité ; croit-on que cette carrière, ouverte, au reste, à nos descendans, fût stérile ou indigne d’occuper les loisirs d’un homme de nos jours ?

S’il est des formes à travers lesquelles l’avenir se laisse déjà pénétrer, il est aussi un grand nombre de pensées abandonnées qu’il convient de rappeler. Le dogme de la fatalité l’emporte, au moment où l’on écrit ces lignes ; qui le nie ? Il domine dans la métaphysique, dans la morale, surtout dans les actions humaines. Qui ne croirait que sa victoire est consommée et que c’en est fait pour jamais de cette vieille cause de la liberté morale pour laquelle tant de noble sang a été répandu, et qui a maintenu pendant tant de siècles en haleine la dignité et la grandeur du monde ? Et pourtant un jour viendra où ces doctrines sacrées reparaîtront. Brisant les liens de la corruption, l’homme recouvrera sa conscience et son libre arbitre ; Prométhée enchaîné sera délivré : c’est du moins là un des dogmes de la religion des poètes.

Je ne puis m’empêcher de croire aussi que l’on s’est trop hâté de considérer le juste, le beau, le saint, comme choses surannées et dûment ensevelies. Quoique aussi vieilles que le monde, ces théories ne se doivent point tenir pour battues. Émancipé d’hier, l’homme moderne se glorifie trop vite de n’aimer que la terre ; prenez garde que cet amour exclusif de la glèbe ne sente le servage. En vain, vous vous félicitez d’être débarrassés de l’ame ; il faudra bien qu’elle renaisse. Ornez La terre tant qu’il vous plaira, creusez-la, sondez-la, fouillez-la dans ses dernières profondeurs. Abaissez les collines, élevez les vallées, détournez les fleuves, vantez-vous tant que vous voudrez de