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REVUE. — CHRONIQUE.

vaient encore une fois tressaillir aux accens terribles du grand maître, puis se tordre dans les flammes et crouler pour ne plus se relever jamais. Comme on le pense, cette dernière soirée du Théâtre-Italien a donné lieu à toutes sorte d’inventions fantastiques ; chacun a voulu écrire son histoire sur un sujet si beau : Hoffmann se trouvait là tout exprès sous la main, Hoffmann et don Juan, quelle fortune ! quelle rencontre heureuse et combinée à souhait par le hasard, ce grand maître des choses de ce monde ! Les uns avaient entendu dans la soirée des voix mystérieuses s’échapper de l’orchestre (tout juste comme dans le conte allemand) ; les contre-basses frémissaient par intervalles, les cordes des violons se brisaient, et le clavier de M. Tadolini rendait, durant l’entr’acte, des sons lamentables et précurseurs de quelque grand fléau ; d’autres, à l’ensemble inoui des chanteurs à cette représentation, à l’enthousiasme de leurs gestes, au feu de leurs regards, à l’expression surnaturelle de leurs voix, avaient senti que c’était là le chant du cygne. Pour nous qui n’aimons guère la poésie que là où Dieu l’a mise, et tenons pour ce qu’elles valent ces sornettes prophétiques inventées après coup, nous dirons tout simplement que cette dernière représentation a été l’une des plus médiocres que le Théâtre-Italien eût encore données, et si l’on voulait à toute force chercher une cause à ce fait incontestable, on la trouverait, sans nul doute, dans la fatigue des chanteurs qui avaient déjà exécuté la veille le chef-d’œuvre de Mozart. D’ailleurs, entre toutes les partitions du répertoire, Don Giovani est peut-être celle qui convient le moins à ces voix formées par les douces cantilènes de Bellini. Giulia Grisi gazouille avec une gentillesse rare les jolis fredons qu’on pointe pour sa voix, mais d’aucun temps cette cantatrice agréable n’a passé pour une dona Anna sérieuse ; ce serait une singulière folie que de vouloir chercher l’idéal du caractère de Mozart dans cette belle personne toute florissante d’embonpoint et de fraîcheur, qui récite le sublime monologue du premier acte de Don Giovani, sans plus s’émouvoir que s’il s’agissait d’un motif des Puritains. Hoffmann lui-même y perdrait son allemand. La partie de Zerlina est écrite trop bas pour la voix de la Persiani, et quant à Tamburini, il n’a ni la force ni la puissance qu’il faut pour aborder le grand rôle de don Juan. Restaient donc Lablache, remarquable seulement dans la strette du septuor, et Rubini, qui chante Il mio tesoro, cette phrase de mélancolie et d’amour, avec une expression inouie, un style incomparable, une voix qui semble reculer chaque jour ses limites. Mais c’étaient là prodiges auxquels Rubini nous avait tous dès long-temps accoutumés ; chaque fois que Rubini chante Il mio tesoro, il y met toute sa voix et toute son ame. De ce que Rubini dit une cavatine de Mozart d’une façon surnaturelle, s’il fallait en conclure que la salle va brûler, vraiment alors le prince des ténors devrait se résigner à ne plus chanter qu’en plein air.

Voici plus de trois mois que la saison s’est ouverte, et nous n’avions point encore parlé du Théâtre-Italien. Pour la critique, qui ne peut se préoccuper des menus détails d’une représentation, qui trouve puéril de commenter les