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public ? Le public ne paie si cher ceux qui l’amusent que parce qu’il se réserve le droit de les répudier sans façon, et comme il lui plaît. D’ailleurs la dissolution pouvait se mettre dans le trio célèbre ; Rubini pouvant s’en aller à Bergame, Lablache rester à Londres, Tamburini perdre sa voix ; que sais-je ? Alors la Malibran serait venue renouveler le répertoire, et semer partout sous ses pas la vie et la fécondité. Quelque belle jeune fille aurait grandi sans nul doute à cette noble école, et nous aurions vu renaître les rivalités magnifiques d’autrefois, lorsque la Sontag jouait Aménaïde ou Sémiramis, et la Malibran, Arsace ou Tancrède. La Malibran avait en elle au moins six florissantes années du Théâtre-ItaIien. Quelque temps avant, un jeune maître, que sa nature choisie et mélodieuse entraînait vers des tentatives nouvelles, Bellini, s’était arrêté au milieu de son triomphe des Puritains. Certes, nous ne prétendons pas dire ici que l’auteur de la Sonnanbula fut destiné à régénérer la musique italienne, à Dieu ne plaise ! Une tâche si laborieuse et si rude n’était pas réservée à ce talent mélancolique et doux, dont on aime jusqu’à la faiblesse. N’importe, Bellini aurait alimenté le répertoire, et fourni çà et là aux chanteurs l’occasion de se produire dans toute la belle simplicité de leur expression. Bellini et la Malibran ! la mélodie et la voix ! Peut-être le nuage qui a passé sur ces deux astres jumeaux au ciel de la musique aura-t-il eu sur les destinées du Théâtre Italien une plus triste influence qu’on ne se l’imagine d’abord. L’incendie de la salle Favart n’a mis en ruine que les murailles, c’est-à-dire ce qui se relève à force d’or, de temps et de travail ; mais des inspirations mélodieuses, des ames pour les sentir, des voix pour les transmettre à la multitude, tous ces trésors du ciel, où les trouverez-vous quand vous aurez une fois épuisé les ressources dont vous disposez de la même façon et depuis si long-temps.

Les représentations vont recommencer plus splendides que jamais dans la salle Ventadour, on peut le dire d’avance, et si nous émettons quelque sollicitude pour ce théâtre charmant que nous aimons entre tous, c’est que nous croyons voir plus loin dans son avenir, car du présent il n’y a pas à s’en occuper ; qui en doute ? L’enthousiasme si véhément du public va s’accroître encore d’une bien vive sympathie que le récent désastre lui inspire. Ensuite toute cette foule attardée qui depuis dix ans frappait aux portes de la salle Favart, trop étroite pour l’admettre, aura bientôt envahi les loges innombrables et profondes de Ventadour, et le triple rang de ses galeries immenses. Les houras vont éclater et les fleurs pleuvoir ; il y aura des applaudissemens, des couronnes et de l’or pour tous. Mais ensuite, lorsque la première ardeur se sera ralentie, on s’apercevra que cette vaste salle manque parfaitement de sonorité, et d’ailleurs, dût-on s’en contenter de gré ou de force, il faudra y renoncer à la saison prochaine. La salle Ventadour est louée depuis un an au théâtre de la Renaissance. Au mois d’octobre, lorsque les oiseaux mélodieux traverseront la mer pour venir s’abattre parmi nous, ils trouveront leur nid occupé par toute sorte d’orfraies et de hiboux qui croasseront à l’envi des refrains de mélodrames ; alors sous quel toit s’abriter ?