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mais ensuite, à mesure que vous regardez au fond, le miroir s’éclaircit, vous découvrez une étoile, puis une autre, puis enfin mille apparitions harmonieuses qui vous retiennent ou vous appellent avec des voix de sirènes. Quand Duprez ne chante ni les Huguenots, ni Guillaume Tell, Fanny Elssler joue le Diable Boiteux. Pour varier son répertoire, qui n’a guère qu’un rôle, la charmante danseuse vient de composer un ballet en un acte. Sitôt après Cosme de Médicis paraîtra cette imagination de la jolie Viennoise. Certes, nul mieux que Fanny Elssler ne doit savoir tout le parti qu’on peut tirer de ce beau talent, qui n’a trouvé encore qu’une seule occasion de se produire, et le rôle qu’elle se destine ne peut manquer d’être fait à sa taille. Ensuite viendront les débuts de M. de Candia, ce fils de famille, qui affronte la vie de théâtre avec une insouciance de vingt ans. Les bravos de Rubini et de Duprez, les séductions sans nombre qui rayonnent autour de ces deux royautés de la scène, ont troublé M. de Candia dans ses nuits de plaisir, et voilà maintenant qu’il polit et façonne pour le public cette belle voix de ténor d’un timbre si pur, qui, jusque-là, ne s’était dépensée que dans les salons et les joyeux soupers. M. de Candia a choisi déjà Robert-le-Diable pour son premier rôle, et Meyerbeer va écrire un air à l’occasion de ces curieux débuts. Voilà, certes, de belles soirées qui se préparent dans l’avenir, et qui feront attendre avec patience l’arrivée de deux jeunes cantatrices dont on dit merveilles, et la partition dont M. Auber s’occupe, un sujet aérien, une fantaisie à la manière d’Oberon, que l’auteur du Domino Noir compose à l’heure qu’il est, et qui tremblote déjà comme un point lumineux dans les vapeurs de l’horizon.

Le Conservatoire vient d’ouvrir ses portes. Beethoven a fait, comme d’habitude, les frais des deux premières séances. Beethoven est le dieu de ce sanctuaire. L’admirable orchestre que M. Habeneck gouverne avec tant de précision et de puissance, a exécuté le premier jour la symphonie avec chœur, le second la symphonie en la. Nous avons dit plus d’une fois notre avis sur cette dernière composition ; c’est là un magnifique chef-d’œuvre qu’on ne peut entendre sans recueillement, jamais la musique instrumentale ne s’est élevée et maintenue plus haut. Là Beethoven demeure égal à lui-même ; du commencement à la fin, on dirait que le sublime est l’élément où il se meut, et, chose très rare dans des œuvres de pareille dimension, l’ordre ne s’y trouble pas un instant ; vous ne perdez jamais de vue la pensée dominante, une ligne calme et sereine environne la création mélodieuse. Certes on n’en peut dire autant de la symphonie avec chœur : ici Beethoven divague ; à force de s’élever, il se perd dans l’infini, et si l’on nous contestait cette vérité, nous citerions cette incroyable profusion de théories que mille cerveaux en travail inventent chaque jour, dans le but de commenter cette œuvre du grand maître. La symphonie avec chœur est un champ qu’ils ensemencent à loisir des plus étranges billevesées ; chacun y voit ce qu’il lui plaît d’y voir, l’un dit que c’est la Bible, l’autre soutient que c’est l’Iliade, celui-ci penche pour l’Énéide, celui-là pour la Divine Comédie. Ils trouvent tous là-dedans Homère, Virgile, Dante, Goëthe, que sais-je moi ? et nul n’y cherche Bee-