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du siècle précédent. Il venait de s’accomplir une révolution réelle dans le sein de la philosophie, révolution toute pacifique dont ne s’alarma point la susceptibilité si ombrageuse du maître de l’empire ; révolution bien grave cependant, faite pour révéler dès-lors, aux hommes attentifs, l’esprit nouveau dont le xixe siècle était animé, et qui ne devait pourtant faire un décisif avènement que quelques années plus tard.

Ainsi, la philosophie de notre âge avait reçu l’empreinte qui lui est propre long-temps avant que la littérature, long-temps avant que l’ensemble même du siècle reçût définitivement la sienne. De 1811 à 1813, la philosophie française inspirée peut-être, je ne le nie pas, par les deux grands génies littéraires qui ouvrent avec tant de splendeur la carrière intellectuelle du xixe siècle, d’accord eux aussi, malgré leur opposition apparente, avec la pensée réorganisatrice du consulat, inspirée sans doute aussi par ce noble besoin de création qui travaille éternellement la pensée humaine, la philosophie française avait posé les bases d’un système nouveau. L’école de Condillac, par l’organe même de M. Laromiguière, avait reconnu, non pas son impuissance, comme on l’a dit à tort selon moi, mais ses lacunes et toutes ses imperfections, signalées déjà par la sagacité féconde de M. de Biran. Toutefois ce n’était encore là qu’une négation ; M. Royer-Collard eut la gloire d’énoncer le premier, dans une chaire, quelques-unes des affirmations du dogmatisme naissant. De ce moment c’en était fait de la philosophie du xviiie siècle, non pas dans ses résultats politiques et sociaux, à Dieu ne plaise que jamais un pareil blasphème sorte de ma bouche ! mais c’en était fait de l’école de Condillac. Bonne pour la lutte et le combat, bonne pour la destruction, qu’elle aussi servit admirablement, elle ne pouvait durer après la victoire ; parce qu’il lui était impossible de construire l’édifice nouveau. Elle ne pouvait pas même réparer ses propres ruines.

Sortie d’une réaction, la philosophie nouvelle dut, pour se faire sa place, et constater son existence, débuter par la polémique ; mais elle eut bientôt traversé ce stérile domaine. La polémique d’ailleurs était presque inutile, tant les convictions étaient préparées à délaisser les anciennes idées, tant elles se sentaient mal à l’aise, tant elles étaient à l’étroit dans le système de Condillac. Elles se hâtèrent en général de fuir cet abri insuffisant et malsain, et se donnèrent avec toute sécurité à des doctrines qui leur offraient un asile plus spacieux et plus salubre.

Quel était donc le dogmatisme de la philosophie nouvelle ? ce n’est point à moi de le dire, et ce ne serait point ici le lieu. C’est une question à laquelle il n’est point temps encore de répondre, et que l’avenir seul pourra résoudre ; mais ne croyez pas que je m’abstienne de répondre par une sorte de prudence cauteleuse, qui serait bien peu digne de l’auditoire auquel je m’adresse, de la chaire où je parle, de la noble science à laquelle j’ai dévoué ma vie. Si je garde le silence sur le dogmatisme de l’école nou-