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construit sans aucun principe d’architecture et ruiné en partie, Scalloway ne date cependant pas d’une époque très reculée. Ce château porte le chiffre de l’an 1601 sur ses murailles, et sur sa porte on lit l’inscription qui suit :

Patricius, Orcadiæ et Zelandiæ comes,
Cujus fundamen sanum domus illa manebit
Labilis e contra si sit arena perit.

Ce Patrick, comte des Orcades, qui, dans cette occasion, a voulu faire le bel esprit, n’était rien moins cependant qu’un savant en us ou qu’un agréable pédant. Tout au contraire, il a laissé dans ces îles un effrayant souvenir. Pate Stuart (c’est le nom populaire du comte des Orcades) est le croquemitaine du pays, l’ogre dont on fait peur aux enfans ; c’est l’épouvantail des femmes et des jeunes filles. Les femmes s’attendent toujours à le rencontrer au détour de chaque ravin, derrière chaque rocher. Si on en croit tout ce qu’on raconte dans les îles Shetland du terrible comte des Orcades, il aurait, certes, bien mérité l’étrange réputation qu’on lui a faite. Les paysans shetlandais eux-mêmes n’ont pas perdu toute peur de Pate Stuart ; ils n’en parlent qu’avec réserve, comme ils parleraient d’un mauvais et puissant esprit. Quelques promesses que l’on fît à l’un de ces crédules insulaires, s’engageât-on à lui donner au retour une cruche de bland bien remplie ou un baril d’huile de baleine, on ne le déciderait certainement pas à aller cueillir, le soir, un brin de mousse ou détacher une pierre du vieux manoir de Scalloway. Scalloway est le quartier-général des mauvais génies de l’île. C’est là que les brownies se traînent en grinçant des dents, que les trows dansent en chœur en grognant comme des porcs, en bêlant comme des agneaux, en sifflant comme des oiseaux de proie. Toute la nuit on entend dans les corridors déserts de Scalloway le bruit du marteau qui bat le fer, du soufflet qui gémit, de la forge qui pétille ; car les trows sont d’infatigables forgerons. Dans les nuits de tempête, la Walkyriur[1] est assise sur la plus haute des tours du manoir, les jambes nues et pendantes, le coude posé sur le genou, la tête appuyée sur la main ; pensive et triste, elle attache sur le navire en péril son regard fixe, qui flamboie au milieu des ténèbres, comme l’escarboucle enchantée de la montagne de Wart[2].

  1. Femme promise aux guerriers morts.
  2. Le Wart est une montagne escarpée des îles Orcades. Dans les mois de mai, juin et juillet, on aperçoit de loin, vers minuit, quelque chose qui brille à son sommet. On a cherché