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LES ÎLES SHETLAND.
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dans sa retraite ; le roi Jacques avait dit en plein conseil que le bourreau pourrait seul faire justice de son cousin des Orcades. Patrick le savait ; il craignait de pousser à bout ceux qu’il n’avait déjà que trop irrités. Il n’osa donc essayer d’un rapt à la face de tout un peuple, sur le seuil du sanctuaire ; il aima mieux avoir recours à des moyens détournés qui ne lui semblaient pas moins sûrs.

À peine dans la campagne, il avait dépêché un de ses affidés dans la ville ; il avait su par lui que ce jour-là Eda devait retourner, après le marché, au rocher de Grunista. Des paysans d’un hameau voisin de sa chaumière lui tiendraient compagnie pendant une partie de la route ; mais elle ferait seule le reste du chemin, et de nuit peut-être, les jours étant bien courts et la distance bien longue. Patrick en savait assez. Il dresse aussitôt ses plans. Il rentre à Scalloway, prend un habit de paysan, et montant sur le premier poney qu’il trouve, il se dirige rapidement vers le roc de Grunista. Il arrive quelques instans avant la nuit, et se met en embuscade derrière une grosse pierre, au pied du roc, le long du chemin qu’Eda| devait suivre. La nuit couvrait déjà la plaine, et Patrick commençait à trouver le temps long, quand il entendit le bruit des pas d’une personne qui venait du côté de la ville. Comme ses vêtemens frôlaient la roche derrière laquelle il était caché, le comte alongea doucement la main, et put toucher l’étoffe de laine de la robe d’une femme. Plus de doute : c’était Eda. Patrick, s’élançant sur la malheureuse d’un seul bond, comme le chat sur l’oiseau qu’il guette, la saisit vivement entre ses bras, et avant qu’elle eût pu pousser un cri, il lui avait couvert la tête d’un sac, dont il s’était muni à cet effet. La paysanne était tombée sans faire aucune résistance ; Patrick tira les bords du sac vers les pieds, l’en enveloppa tout entière, les noua, puis, malgré les plaintes et les sourds gémissemens de sa victime, il la chargea sur ses épaules, et se dirigea du côté de Scalloway. Patrick, tout en marchant rapidement, jetait de côté et d’autre de longs et perçans regards sur la plaine, que l’obscurité enveloppait, cherchant un sheltie à portée. Comme il n’apercevait rien et que ses forces étaient prodigieuses, il continua bravement son chemin avec son sac, qu’il trouvait moins pesant qu’il ne l’eût pensé. Les mouvemens de la malheureuse créature qui y était enfermée devenaient aussi de plus en plus faibles.

Patrick, qui s’attendait à une vive résistance, se félicitait de cette facile résignation de sa victime. Il avait eu soin de percer le sac de plusieurs trous vers la tête ; par conséquent, il ne craignait pas que l’air vînt à manquer à sa prisonnière. Il se hâtait, car la distance était