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— C’est la Walkyriur que j’ai enlevée ! s’écria Patrick en se rejetant en arrière avec un mouvement d’inexprimable dégoût. Puis, honteux de sa terreur, et s’approchant de ce cadavre qu’un rayon jaunâtre du soleil levant éclairait d’une manière sinistre, et dont les yeux éteints semblaient arrêtés sur lui avec une expression d’amère ironie, il le saisit comme un furieux et le précipita par la fenêtre, espérant ainsi se débarrasser de cette horrible vision.

— C’est la Walkyriur ! c’est la Walkyriur ! répétait-il pendant que le corps roulait de roc en roc. Ce n’était pas la Walkyriur, c’était la vieille Meg Dhu, la mère d’Eda, que le comte avait enlevée à la nuit, comme elle rentrait, après avoir long-temps attendu sa fille sur le chemin de Lerwich.

Le cadavre fut ramassé au pied du roc par des pêcheurs, et on reconnut bientôt Meg Dhu. Les paysans qui avaient rencontré le comte racontèrent ce qui leur était arrivé, et on ne douta plus que Patrick n’eût causé la mort de la pauvre vieille, qu’il avait sans doute prise pour sa fille. Eda pleura sa mère, mais elle jura de la venger.

Il y avait, dans un hameau voisin du rocher de Grunista, deux jeunes paysans qui, toutes les fois qu’ils rencontraient Eda dans la campagne en conduisant leurs troupeaux, ou sur la plage au moment de retirer leurs filets, lui disaient qu’ils la trouvaient belle, qu’ils l’aimaient, et qui tous deux eussent voulu en faire leur femme. La belle et courageuse fille alla les trouver. — Magnus, dit-elle à l’un, Sweyn, dit-elle à l’autre, vous m’aimez, vous me le dites, il faut me prouver que vous dites vrai. Pate Stuart, le démon de Scalloway, a fait mourir ma mère ; il faut que Pate Stuart meure comme ma mère est morte ! Je promets ma main et mon cœur à celui de vous deux qui, le premier, saura me venger de Pate Stuart !

Magnus et Sweyn écoutèrent avec joie la promesse d’Eda, car tous deux l’aimaient, et tous deux étaient des garçons de courage et d’entreprise. Le lendemain de ce jour, un chanteur frappait à la porte du château de Scalloway, un de ces chanteurs comme on en rencontre encore dans ces îles, et qui rappellent les bardes d’autrefois. La porte s’ouvrit, et le chanteur fut introduit dans le château ; mais soit qu’il eût mal chanté, soit plutôt qu’on l’eût rencontré la nuit, un poignard à la main, rôdant près de la chambre qu’habitait Patrick, le lendemain, au point du jour, le pauvre barde était pendu par les pieds aux gargouilles de la plus haute tour du château. On le laissa là jusqu’à ce que les corbeaux eussent fait plus d’un bon repas à ses dépens. Ce chanteur, c’était Sweyn, le plus impatient des deux amans.