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LA DERNIÈRE ALDINI.

des soupçons et souffert long-temps, tandis que vous voilà rassurée, n’est-il pas vrai, marchesina mia ? et vous croyez bien que j’ai un trop grand cœur pour vous trahir en aucune façon ? Allons, mon cher ange, il faut retourner auprès de vos parens, et Lélio ira vous voir aussitôt que vous le voudrez. Soyez tranquille, je vous l’enverrai, moi, et j’empêcherai bien qu’il ne vous donne d’autres sujets de chagrin. Ah ! poverina mia, les hommes sont au monde pour désoler les femmes, et le meilleur d’entre eux ne vaut pas la dernière d’entre nous. Vous êtes une pauvre enfant qui ne connaît pas encore la souffrance. Cela ne viendra que trop tôt, si vous livrez votre pauvre cœur au tourment d’amour, oimè !

Francesca ajouta bien d’autres choses toutes pleines de bonté et de sens. En même temps qu’Alezia était un peu blessée de cette familiarité naïve, elle était touchée de tant de bienveillance et vaincue par tant de franchise. Elle ne répondait pas encore aux caresses de Checca ; mais de grosses larmes roulaient lentement sur ses joues livides. Enfin son cœur se brisa, et elle se jeta en sanglotant sur le sein de sa nouvelle amie.

Je m’étais mis à genoux devant elle auprès de Checca, car son agitation continue m’avait effrayé. Elle me tendit sa main, que je baisai respectueusement, et que je gardai ensuite serrée dans les miennes d’une façon toute paternelle.

— Ô Lélio ! me dit-elle, me pardonnerez-vous l’outrage d’un pareil soupçon ? N’accusez que l’état maladif où je suis, depuis quelques jours, de corps et d’esprit. C’est Lila qui, croyant me guérir et voulant m’empêcher de faire ce qu’elle appelle un coup de tête, m’a confié cette nuit que vous viviez ici avec une très belle personne qui n’était pas votre sœur, ainsi qu’elle l’avait cru d’abord, mais votre femme ou votre maîtresse. Vous pensez bien que je n’ai pu fermer l’œil ; j’ai roulé dans ma tête les projets les plus tragiques et les plus extravagans. Enfin, je me suis arrêtée à l’idée que Lila avait pu se tromper, et j’ai voulu savoir la vérité par moi-même. Au point du jour, tandis que, vaincue par la fatigue, cette pauvre fille dormait dans ma chambre sur le tapis, je suis sortie sur la pointe du pied ; j’ai appelé le plus soumis et le plus stupide des domestiques de ma tante, je lui ai fait seller le cheval de mon cousin Hector, qui est très fougueux, et qui a failli dix fois me renverser. Mais que m’importait la vie ? Je me disais : « Hélas ! n’est pas tué qui veut ! » et j’ai pris la route de Cafaggiolo, sans savoir ce que j’allais y faire. Chemin faisant, j’ai trouvé le conte que je me suis permis de faire à madame. Oh ! qu’elle me le pardonne !