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DE LA CHEVALERIE.

certain nombre d’hommes appartenant à ces classes qui furent admis dans la chevalerie ; l’histoire des troubadours mentionne un assez grand nombre de plébéiens que leur talent poétique éleva au rang de chevaliers. D’autres causes conduisaient au même résultat ; dans les momens de détresse, quand la chevalerie avait été moissonnée par la guerre, on la recrutait comme on pouvait dans les rangs de toutes les classes de la société. Ainsi, lorsque la chevalerie de Philippe-le-Bel eut été presque complètement exterminée par les Flamands, on fit une espèce de levée en masse ; tout homme qui avait deux fils fut obligé d’en armer un chevalier, et celui qui en avait trois d’en armer deux. Frédéric Barberousse faisait des chevaliers sur le champ de bataille avec des paysans, des soldats de son armée, qui avaient montré du courage. Les auteurs qui rapportent ce fait le déplorent comme attestant la décadence de la chevalerie ; mais ceci se passait au commencement du xiie siècle, à une époque où elle était loin de son déclin. Dans ces différens cas, les classes non féodales sont admises à la chevalerie comme par une sorte d’exception ; mais il y a, au moyen-âge, une véritable chevalerie démocratique. Sur plusieurs points de l’Europe, la démocratie a participé aux sentimens et aux mœurs chevaleresques ; M. Fauriel a montré la présence de cette chevalerie démocratique dans les républiques italiennes, à Florence en particulier ; il a montré dans l’histoire des guerres de Florence une foule de faits qui portent évidemment l’empreinte des sentimens et des mœurs de la chevalerie. Telles sont des joûtes d’armes sous les murs des places assiégées, joûtes dont les héros sont tout aussi souvent des popolani que des nobili, et qui ne sont pas plus rares quand la démocratie a complètement le dessus, quand la noblesse est chassée de Florence. Il cite aussi l’usage de la martinella, grosse cloche qu’on sonnait quarante jours avant d’entrer en campagne, pour avertir l’ennemi de se mettre en garde. C’était de ville à ville, de peuple à peuple, un généreux défi, un véritable cartel.

Pour prouver que les sentimens chevaleresques furent le partage de la classe non féodale, il suffirait de rappeler le grand nombre de troubadours sortis de cette classe, qui, mieux que personne, ont éprouvé et exprimé ces sentimens. Bernard de Ventadour était fils d’un boulanger du château de ce nom ; Pierre Vidal, d’un corroyeur ; Péguilain, d’un marchand de draps ; Perdigon, d’un pêcheur ; Arnaud du Marueil, l’un des troubadours les plus distingués, pour qui le moyen-âge n’a pas toujours été assez juste, était né de pauvres parens. Dans une pièce de vers, intitulée l’Enseignement, est un pas-