Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/450

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
446
REVUE DES DEUX MONDES.

il est purement germanique. Il en est de même de certaines cérémonies employées pour conférer l’ordre de la chevalerie, par exemple de la colée. Dans un auteur du ixe siècle, il est dit que Charlemagne, parmi les priviléges qu’il concéda aux Frisons, reconnut au gouverneur le droit d’élever à la milice en donnant un soufflet selon l’usage ; ce soufflet est l’analogue de la colée, et a comme elle son principe dans le vieux symbolisme des coutumes et du droit germanique.

On voit à quel point les sentimens, une portion des mœurs, et surtout l’institution de la chevalerie, sont germaniques. Mais ici une grande difficulté se présente. Comment se fait-il que dans l’intervalle qui s’écoule entre la conquête, au commencement du ve siècle, et l’aurore de la chevalerie au moyen-âge, pendant plusieurs siècles on ne voit pas ces sentimens se reproduire. Peut-être ne serait-il pas impossible, même à cette époque de barbarie, d’en suivre la trace. Admettons qu’il faille y renoncer : les analogies établies plus haut n’en seront pas moins réelles ; il sera seulement plus difficile de les expliquer. J’ai cherché ailleurs à établir que certaines qualités fondamentales d’une race pouvaient être pendant un certain temps à l’état latent, pouvaient être masquées par des circonstances contraires, puis reparaître et se développer plus tard dans des conditions plus favorables. Certainement les Germains de Tacite sont à quelques égards plus semblables aux chevaliers que les Francs de Grégoire de Tours ou les Goths de Jornandès. L’état de conquérant a transformé ces tribus à la fois guerrières et patriarcales en bandes d’envahisseurs et de pillards. Cet état violent et désordonné a fait prévaloir tous les instincts brutaux et a étouffé pour un temps les instincts meilleurs. Les sentimens chevaleresques dont le principe existait dans les bois de la Germanie, et qui semblent disparaître ensuite du sol occupé par les Germains, ont dormi pendant plusieurs siècles ; il a fallu que des circonstances heureuses vinssent les réveiller. Ils ont dû ce réveil aux influences de la culture latine, conservée dans l’Europe méridionale, et notamment dans le midi de la France. Car, même en admettant comme moi que la chevalerie est surtout germanique, qu’elle a son fond dans les sentimens, dans les mœurs et dans l’institution germanique (et pour ce dernier point il n’y a pas de doute possible), il faut reconnaître qu’elle apparaît d’abord non pas en Germanie, non pas au nord de l’Europe, mais dans le midi, mais en Provence ; elle y apparaît avec un accompagnement de galanterie ingénieuse et de poésie délicate qu’elle doit à la civilisation au milieu de laquelle elle se pro-