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DE LA CHEVALERIE.

dans Saladin ; le contraste qu’elles offraient alors a été heureusement exprimé par Walter Scott, dans son roman de Richard en Palestine. À ce moment, toutes deux se reconnaissent, pour ainsi dire, se saluent et s’honorent ; la gloire de Mélek-Rik est populaire parmi les musulmans ; la chrétienté s’empare de Saladin et en fait un chevalier. Cet échange d’admiration manifeste les sentimens de bienveillance que les chrétiens et les mahométans sont étonnés de se porter ; en se voyant de plus près, la haine et le fanatisme qui les avaient armés les uns contre les autres se sont effacés peu à peu. Une tolérance presque philosophique s’établit ; on peut voir, dans un poème du moyen âge, le Dit du Sarrazin, à quel point les discussions théologiques sont devenues courtoises entre les interlocuteurs musulmans et chrétiens. Joinville cite des chevaliers français qui prennent les mœurs de l’islamisme, enfin, cette espèce d’alliance de fraternité, entre les deux civilisations, excita les plaintes de plusieurs graves personnages de ce temps.

Des deux rencontres dont je viens de parler ont dû naître quelques influences de la chevalerie musulmane sur la chevalerie chrétienne ; il était impossible qu’il n’en fût pas ainsi ; mais ces influences ne portent pas sur le fond. La chevalerie occidentale était constituée de toute pièce ; elle a pu emprunter à sa rivale quelques derniers raffinemens, quelques élégances tardives, rien de plus. La générosité, l’amour, l’honneur, existaient ; ils ont pu se nuancer, se raffiner sous l’inspiration arabe, mais ils n’ont pas été créés par elle ; elle n’a pas non plus donné à la chevalerie occidentale ses jeux, ses fêtes, ses tournois, que celle-ci possédait de tout temps, et qui remontent, comme nous l’avons vu, aux anciennes coutumes germaniques ; elle ne lui a pas donné l’institution chevaleresque, dont l’origine est également germanique ; elle n’a rien apporté de fondamental, mais seulement ce qui était pour ainsi dire de luxe, comme les armoiries. Ce n’est pas qu’on ne trouve, dans beaucoup de siècles et chez beaucoup de peuples, l’usage de désigner les guerriers par quelques signes ; cet usage est dans les Sept Chefs devant Thèbes d’Eschyle, et dans les sagas des anciens Scandinaves ; mais il est partout en Orient ; Joinville indique quelque chose de pareil en Égypte ; au Japon, chaque famille porte ses armoiries sur ses vêtemens ; chez les Persans, il y a des exemples d’armoiries et même d’armes parlantes ; et les armoiries chevaleresques, par la nature même des objets qu’elles représentent et des figures qui les composent, semblent indiquer une origine orientale. Les lions, les licornes, les têtes de Maures, attestent des emprunts