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DE LA CHEVALERIE.

l’histoire, et vous serez étonné du vide qu’elle laissera dans la littérature, dans les arts, dans la vie tout entière des nations modernes.

Avec elle vous aurez supprimé une partie de Dante et tout Pétrarque, Cervantes, l’Arioste, le Tasse, Calderon, Lope de Vega ; vous aurez retranché de notre gloire dramatique la plupart des chefs d’œuvre de Corneille et de Racine, vous aurez enlevé à Voltaire Zaïre et Tancrède.

Le siècle de Louis XIV n’a pas su combien ce moyen-âge qu’il connaissait peu a fourni de matériaux à ses œuvres immortelles ; il n’a pas su par quel chemin lui est arrivé cet ensemble de sentimens, d’idées, de poésie qu’il a mis si admirablement en œuvre ; il est naturel aux grands siècles comme aux grands artistes de s’ignorer eux-mêmes, de ne vouloir connaître que l’inspiration qui les conduit, de ne pas savoir, et de ne pas se soucier de savoir à quelle source puise leur génie. Souvent les critiques n’ont pas mieux compris le grand siècle qu’il ne s’était compris lui-même ; mais ils n’avaient pas la même excuse, car à lui il appartenait de produire, à eux d’expliquer. Ainsi l’on a reproché à l’âge classique de notre littérature de n’être qu’une contre-épreuve affaiblie de l’antiquité, de n’avoir pas de vie propre, d’originalité nationale, de s’être séparé du moyen-âge, d’avoir renoncé aux traditions de la poésie chrétienne ; d’autre part, certains défenseurs maladroits de la gloire de nos plus grands hommes ont accepté cet injuste reproche et ont fait une louange de ce qui était une calomnie. Ces critiques ont répondu que le xviie siècle n’avait pas besoin de l’inspiration moderne, qu’il a imité les anciens et les a reproduits, et que c’était là ce qu’il y avait de mieux à faire. Si le xviie siècle avait seulement reproduit l’antiquité, il ne serait pas placé aussi haut dans l’histoire des grands siècles littéraires. Ce que le siècle de Louis XIV a emprunté à l’antiquité, comparé à ce qui lui est propre et à ce qu’il a puisé dans les sentimens que le moyen-âge avait créés, est, selon moi, peu de chose. Certaines formes de langage, quelques détails, quelques vers traduits ou imités, ont trompé les critiques ; mais au fond, l’inspiration, la vie de notre littérature du xviie siècle est moderne, nationale, et en très grande partie chevaleresque. La substance, l’étoffe de notre grande poésie dramatique, c’est surtout la poésie chevaleresque du moyen-âge arrivée par des canaux obscurs aux mains de Corneille et de Racine, et par eux élevée à la hauteur de l’art, encadrée par Corneille dans la grandeur romaine, ornée par Racine d’emprunts faits à la grace et à l’élégance grecque. Dans le xviiie siècle, l’homme le moins sympathique au moyen-âge,