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le Livre du pauvre ou du prolétaire, il eût donné à ses pages un titre plus exact, puisqu’il ne voulait s’adresser qu’à une partie du peuple, de la société. Mais arrivons à la définition de la bourgeoisie. Avant d’en débattre les termes mêmes, je veux résumer les différences fondamentales qui nous séparent : le peuple est pour vous une partie qui doit absorber le tout ; le peuple est pour moi un tout qui doit organiser des rapports de droit et de justice entre ses parties. La bourgeoisie est pour vous une minorité puissante, une aristocratie, à laquelle vous voulez bien accorder, il est vrai, l’élasticité ; la bourgeoisie est pour moi la moitié du peuple, une démocratie réelle qui, par sa nature et par sa position, ouvre ses rangs au prolétariat, au sein de laquelle quelques hommes peuvent rêver la résurrection ridicule de quelques manies nobiliaires, mais qui, dans son génie et sa majorité, est nécessairement peuple. Veuillez y songer, madame, vous et moi, et bien d’autres, sommes à la fois bourgeois et peuple. Pouvez-vous raisonnablement faire de la bourgeoisie française une coalition de tyrans armés contre l’émancipation du peuple, c’est-à-dire contre la moitié d’eux-mêmes ? Il faudrait éviter ces exagérations ; elles nuisent à la cause qu’on veut servir ; elles communiquent aux discussions politiques je ne sais quelle exaltation romanesque qui effarouche les esprits, au lieu de les convaincre.

Pesons maintenant les termes de votre définition. La bourgeoisie, dites-vous, est tout ce qui possède sans travail ; il y a, en effet, les heureux du siècle qui ne doivent pas leurs richesses à un travail personnel ; mais ce fait incontestable n’est pas à discuter entre nous, puisque vous l’acceptez, puisque le Livre du Peuple, que vous défendez, recommande expressément de n’attenter en rien à la propriété. Passons à la seconde partie de votre définition : la bourgeoisie est tout ce qui possède au-delà de son travail. Qu’entendez-vous par les mots travail et au-delà ? Cotez-vous le prix du travail jour par jour, et voulez-vous dire que tout homme qui reçoit un prix supérieur aux frais nécessaires à la vie pendant vingt-quatre heures est un bourgeois, et par une conséquence naturelle de vos opinions, un aristocrate ? Mais n’y a-t-il pas différentes espèces de travaux, différentes formes, différentes mesures de salaire et de rémunération ? Le savant, l’industriel, l’écrivain, l’artiste, ne sont-ils pas des travailleurs ? Les appellerez-vous des privilégiés, parce qu’ils recevront en une somme unique le prix de quelque grande œuvre, ou en plusieurs fois le salaire annuel des travaux qui sont le but et l’habitude de leur vie ? Reconnaissez, madame, que le bourgeois, par la