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l’obligation de formuler un système, et félicitez-vous de cette nécessité, loin de vous en plaindre. Quoi ! le christianisme, tant par sa nature que par l’esprit de l’époque où nous le voyons aujourd’hui parvenu, sera l’objet des explications et des sentimens les plus contradictoires, et il suffira à M. de La Mennais, après avoir nié violemment les deux grandes formes chrétiennes, le catholicisme et le protestantisme, de se dire chrétien à sa façon, pour en être cru sur parole, et pour imposer aux autres une foi personnelle qu’il ne définit point ! Constatons les inconvéniens de cette méthode arbitraire. Le nouveau maître de M. de La Mennais, Rousseau, lui crie que la religion chrétienne n’est pas sociale, ne convient pas à des républicains. Il a tort peut-être ; mais il fallait démontrer l’erreur du législateur de la démocratie, surtout quand on lui empruntait les bases et l’appareil de son système, quand on s’adressait à un public, à un parti, à des lecteurs, nourris encore des principes de l’auteur du Contrat social. M. de La Mennais aurait dû penser qu’au lieu de porter la lumière dans les esprits, il y jetait les ténèbres, en associant, sans explication, des termes que beaucoup réputaient inconciliables. Mais il y a d’autres inconvéniens : le christianisme officiel, que M. de La Mennais accable de ses mépris, se relève avec avantage contre lui ; il se sert de la seconde partie du Livre du Peuple pour détruire la première, et de cette façon, ou les pages de M. de La Mennais n’ont pas d’effet possible, ce que j’ai dit, ou elles propageront l’abnégation et l’humilité chrétienne, ce que probablement il n’a pas voulu. Déjà le parti protestant, dont le Semeur est l’organe, a, par une habile tactique, déclaré que le Livre du Peuple contenait trop de bonnes choses pour pouvoir produire beaucoup de mal, et que l’auteur avait lui-même mis le remède à côté du poison. Enfin l’esprit philosophique du siècle est tenu en échec par l’incohérence et la vague obscurité des formules employées par M. de La Mennais, et ne peut les accepter comme contenant des vérités claires, concordantes et solides.

Le christianisme, que j’ai eu raison, ce me semble, de considérer comme un grand système d’idées et de passions, comporte les perspectives et les interprétations les plus diverses. Il faut donc, dans ces vastes régions, s’orienter soi-même, surtout quand on veut diriger les autres. S’appeler chrétien, sans ajouter comment on entend l’être, c’est ne pas dire autre chose qu’on n’est ni musulman, ni juif, et qu’on est né au sein du christianisme de sa famille et de sa patrie, C’est bien ; mais ensuite, pour élever le fait historique à une valeur