Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/478

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
474
REVUE DES DEUX MONDES.

tianisme sur des théories qui le contredisent ; gardons-nous aussi de faire intervenir la morale chrétienne là où il faudrait plutôt jeter les germes d’une moralité nouvelle.

La philosophie moderne, vous écriez-vous, est donc très contente d’elle-même ? Mais il me semble qu’à considérer seulement le passé de deux siècles, c’est-à-dire, depuis Descartes et Spinosa, la philosophie peut, avec quelque orgueil, contempler son ouvrage : de la métaphysique elle est descendue à l’application politique des principes et des idées ; elle a renversé tout un antique système de formes sociales ; elle a jeté les principes d’un ordre nouveau. Croyez-vous que l’histoire nous montre beaucoup d’exemples d’une puissance aussi rapidement victorieuse ? Mais, aujourd’hui, dites-vous, où est le pouvoir de la philosophie ? Fait-elle vivre dans l’abondance tous les indigens ? Force-t-elle le privilége et le monopole à ouvrir à tous la porte de la cité ? Non ; il faut donc dédaigner les idées pour échauffer les passions. Voici ma réponse : quand l’amour chrétien embrasa les hommes, ils durent cependant se contenir et se résigner long-temps au spectacle des plus déchirantes misères, et certes la somme des douleurs humaines était alors plus forte que dans notre siècle. Aussi la résignation était-elle la vertu par excellence. Aujourd’hui que l’esprit humain demande à la science la grandeur et le bien-être de l’humanité, il ne peut échapper, malgré sa force, à la condition du temps ; aussi trouve-t-il sa vertu, non plus dans une résignation mystique, mais dans une patience active et intelligente, c’est-à-dire dans le travail. Maudire la philosophie au xixe siècle, parce qu’elle n’improvise pas le paradis sur la terre, serait le cri d’un matérialisme grossier que je ne saurais songer à vous imputer un instant. Comme vous, madame, je gémis de la misère et de l’ignorance où sont encore les classes ouvrières ; mais je ne crois pas à une conspiration unanime et permanente de la bourgeoisie, pour laisser languir les prolétaires, cette seconde moitié du peuple, dans le malaise et les ténèbres. Travaillons de concert à aplanir les obstacles, répandons partout les idées les plus claires et les plus saines ; calmons le ressentiment des uns, attendrissons l’égoïsme de quelques autres. Les progrès de l’humanité n’ont-ils pas toujours dépendu des convictions répandues dans les esprits ? Les idées n’ont-elles pas toujours mené les hommes ? Au moyen-âge, le christianisme, représenté par l’église, élevait la tête au-dessus des rois et des peuples ; aujourd’hui la pensée en son propre nom s’occupe à diriger le monde. Si la religion trouve sa force dans l’apparence de