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voici mon cousin qui vient, sinon me réclamer, du moins constater ici ma présence. Froissé par mes refus, il ne manquera pas de me décrier, parce qu’il est sans esprit, sans cœur et sans éducation. Ma tante feindra de blâmer l’emportement de son fils, et racontera ce qu’il lui plaira d’appeler ma honte, à toutes les dévotes de sa connaissance qui le rediront à toute l’Italie. Je ne veux point par de vaines précautions, ni par de lâches dénégations, essayer d’arrêter le scandale. J’ai appelé l’orage sur ma tête, qu’il éclate à la face du monde ! Je n’en souffrirai pas si, comme je l’espère, le cœur de ma mère me reste, et si, avec un époux content de mes sacrifices, je trouve encore un ami assez courageux pour avouer hautement la protection fraternelle qu’il m’accorde. À ce titre, voulez-vous empêcher qu’il n’y ait des explications inconvenantes, impossibles, entre Lélio et mon cousin ? Voulez-vous aller recevoir Hector, et lui déclarer de ma part que je ne sortirai de cette maison que pour aller trouver ma mère, et appuyée sur votre bras ?

Le comte regarda Alezia d’un air sérieux et triste, qui semblait dire : « Vous êtes la seule ici qui compreniez à quel point mon rôle, dans le monde, va paraître étrange, coupable et ridicule, » mit gracieusement un genou en terre, et baisa la main d’Alezia qu’il tenait toujours dans la sienne, en lui disant : — Madame, je suis votre chevalier à la vie et à la mort. — Puis il vint à moi et m’embrassa cordialement sans me rien dire. Il oublia de parler à la Checchina, qui du reste, appuyée sur le rebord de la fenêtre, les bras croisés sur sa poitrine, contemplait cette scène avec une attention philosophique.

Nasi se préparait à sortir. Moi, je ne pouvais souffrir l’idée qu’il allait s’établir, à ses risques et périls, le champion de la femme que j’étais censé compromettre. Je voulais du moins le suivre et prendre sur moi la moitié de la responsabilité. Il me donna, pour m’en empêcher, des raisons excellentes tirées du code du grand monde. Je n’y comprenais rien, et me sentais dominé en cet instant par la colère que me causaient l’insolence d’Hector et ses indignes intentions. Alezia essaya de me calmer en me disant : — Vous n’avez encore de droits que ceux qu’il me plaira de vous accorder. — J’obtins du moins d’accompagner Nasi, et de faire acte de présence devant Hector Grimani, à la condition de ne pas dire un mot sans la permission de Nasi. Nous trouvâmes le cousin qui descendait de cheval, tout haletant et couvert de sueur. Il donna un grand coup de fouet, en jurant d’une manière ignoble, au pauvre animal, parce que s’étant déferré et blessé en chemin, il n’était pas venu assez vite au gré de son impa-