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cher. Les religieux grattèrent les manuscrits classiques qu’ils avaient entre les mains pour y écrire leur rituel. On leur a si souvent et si amèrement reproché ce fait, que je ne veux pas les placer encore une fois sur la sellette pour les faire condamner par l’aréopage philosophique. J’essaierai plutôt de les justifier. Quand on les taxe aussi durement de vandalisme, on oublie trop, ce me semble, dans quel siècle ils vivaient, et quelles leçons ils avaient reçues. Comment auraient-ils pu comprendre les richesses de l’antiquité grecque, l’élégance des écrivains de Rome, ces pauvres prêtres qui, dans leurs écoles de couvent, n’avaient appris qu’un latin barbare Comment auraient-ils pu avoir tant de respect pour les fictions du paganisme, ou l’histoire d’Athènes, eux qui vivaient dans une croyance si austère, eux qui dataient leur histoire d’une crèche ? Ils enseignaient volontiers au peuple ce qu’ils savaient, mais ils ne pouvaient enseigner plus. Le vandalisme dont on les accuse n’était pas leur faute. C’était celle de leur temps, et au risque de me faire aussi passer pour vandale, j’ajouterai qu’à l’époque où le christianisme fut introduit dans le Nord, où le prêtre avait à lutter contre les mœurs grossières et le caractère impétueux, vindicatif, d’un peuple de soldats, un livre de prières était beaucoup plus utile aux progrès de la civilisation que les Épigrammes de Martial, ou les Métamorphoses d’Ovide.

La plus ancienne bibliothèque de Danemark est celle de Lund. Le chanoine Bernard, qui mourut en 1176, lui donna, disent les Scriptores, plusieurs bons livres[1]. Le chanoine Amund lui légua un missel, un capitulaire, un psautier. Mais l’archevêque Anders Suneson surpassa par sa magnificence tous ses prédécesseurs. Il donna à la cathédrale la plus belle bibliothèque que l’on eût jamais vue. Langebek nous en a conservé le catalogue : c’était une Bible en trois parties, les évangélistes, le Pentateuque bien glosé et bien corrigé, des sentences, des allégories et moralités, des gloses sur le cantique des cantiques, sept livres de lois, le corps des canons, etc.

Des bibliothèques furent fondées aussi dans les autres villes de Danemark, et au XVe siècle, on vit s’élever quelques bibliothèques particulières.

Ainsi la science avait trouvé dès le XIIe siècle ses deux points d’appui : les écoles et les bibliothèques. Le nombre des élèves admis dans ces premières institutions augmenta d’année en année. Les écrivains du temps disent qu’à l’époque de la réformation, il n’y avait pas moins de sept cents étudians à Ribe et huit cents à Roeskilde. Les enfans de la noblesse, comme ceux du peuple, assistaient à cet enseignement des cloîtres. Chrétien II fut élevé avec les fils de la bourgeoisie et apprit, comme eux, à chanter au lutrin.

Mais à quel fastidieux travail les enfans admis à ces écoles n’étaient-ils pas condamnés ? Et quels fruits pouvaient-ils retirer des longues années qu’ils consacraient à leurs études ? On n’enseignait là qu’un latin grossier, mêlé de solécismes. Dans le commencement, un homme pouvait se croire très instruit

  1. Multos bonos libros ecclesioe dedit. Tom. iii, pag. 452.