Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
REVUE DES DEUX MONDES.

l’’autorisent à écarter d’elle tout ce qui pourrait nuire à sa réputation. Vous permettrez donc que j’empêche Lélio de rentrer dans cette maison tant que votre mère n’y sera pas, et je viens de lui envoyer un exprès, afin que demain soir vous puissiez l’embrasser.

— Demain soir ? s’écria Alezia, c’est trop tôt. Non, je ne le veux pas. Quelque bonheur que j’aie à revoir ma mère bien-aimée, je veux avoir le temps d’être compromise aux yeux du monde, et perdue sans retour pour lui. Je veux partir avec Lélio, et courir au-devant de ma mère. Quand on saura que j’ai voyagé avec Lélio, personne ne m’excusera, personne ne pourra me pardonner, excepté ma mère.

— Lélio n’obéira pas à votre volonté, ma chère sœur, répondit Nasi, il n’obéira qu’à la mienne ; car son ame n’est que délicatesse et loyauté, et il m’a pris pour arbitre suprême. — Eh bien ! dit Alezia en riant, allez lui ordonner de ma part de venir ici. — Je vais le trouver, répondit Nasi, car je vois que vous n’êtes disposée à écouter aucune parole sage. Et je vais avec lui faire préparer deux chambres pour lui et pour moi dans l’auberge du village que vous voyez d’ici au bout de l’avenue. Si vous étiez encore exposée à quelque offense de la part de M. Hector Grimani, vous n’auriez qu’à faire signe de votre fenêtre et à faire sonner la cloche du jardin, nous serions sous les armes à l’instant même. Mais soyez tranquille, il ne reviendra pas. Vous allez donc vous emparer de l’appartement de Lélio, qui est plus convenable pour vous que celui-ci. Votre femme de chambre restera ici pour vous servir et pour m’apporter vos ordres, s’il vous plaît de m’en donner.

Nasi étant venu me rejoindre et m’ayant rapporté cet entretien, je lui ouvris mon cœur et lui confiai à peu près tout ce que j’éprouvais, sans toutefois lui parler de Bianca. Je lui expliquai comment je m’étais étourdiment engagé dans une aventure dont l’héroïne m’avait d’abord semblé coquette jusqu’à l’effronterie, comment, en découvrant de jour en jour la pureté de son ame et l’élévation de son caractère, je m’étais trouvé amené malgré moi à jouer le rôle d’un homme prêt à tout accepter et à tout entreprendre. — Vous n’aimez donc pas la signora Aldini ? dit le comte avec un étonnement où je crus voir percer un peu de mépris pour moi. — Je n’en fus pas blessé, car je savais ne pas mériter ce mépris, et il me rendit son estime quand il sut quelles luttes j’avais soutenues pour rester vertueux, quoique dévoré d’amour et de désirs. Mais quand il fallut expliquer au comte comment il se faisait que je fusse si positivement décidé à ne pas épouser Alezia, quelque indulgence qu’elle trouvât dans le cœur de sa mère, je fus embarrassé. Je lui fis alors une question : je lui