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côté du cours d’eau et sur un terrain en pente douce, des cavaliers ennemis vinrent se ranger avec ostentation et parader comme sur un théâtre ; mais nos spahis et un escadron du 3e chasseurs d’Afrique, se jetant au galop au milieu de leurs évolutions, les forcèrent d’abandonner une partie qu’ils ne voulaient pas encore jouer sérieusement.

Le 6 octobre devait nous conduire au terme de notre marche et nous faire voir Constantine face à face. La curiosité, l’impatience, une sorte d’attente inquiète, rendaient cette journée solennelle. La puissance d’attraction, qui réside dans tout point proposé pour but, se faisait vivement sentir et agissait avec une intensité proportionnelle à la diminution des distances. On eût dit que chacun avait en soi une force involontaire, qui l’entraînait en avant. Cependant les augures n’étaient pas favorables : le temps fut menaçant pendant toute la nuit, et, dès le matin, il tomba de la pluie presqu’au même lieu où, l’année précédente, la pluie avait cloué le convoi. Cependant le ciel se remit un peu ; on franchit, sans les remarquer, les paisibles ruisseaux qui, en 1836, étaient des torrens aux eaux impétueuses et glaciales, et on traversa le champ où, un an plus tôt, le 62e de ligne avait laissé sur son bivouac cinquante cadavres gelés. Vers neuf heures du matin, la tête de colonne déboucha sur le Mansoura.

À l’extrémité d’une longue croupe de terrains à double versant, sur la rive gauche du Rummel et dans un angle que forme son cours en changeant de direction, est jeté un îlot de rocs profondément déchaussés et dont le pied et les flancs sont à nu. Il ne se rattache que par une étroite langue de terre, comme par un pont, au grand contrefort de Kodiat-Aty, dont il semble être une excroissance osseuse. Sa face nord se dresse verticale à 100 pieds au-dessus du Rummel et regarde une ligne toute semblable de rochers, qui contient et encaisse la rive droite du torrent, et sur laquelle pose, comme un dôme, le vaste mamelon de Mansoura. Ces deux formations, quoique pareilles, appartiennent à deux systèmes différens de contreforts ; la première, plus isolée et plus complète, s’arrondit en cylindre presque régulier, et c’est sur la section inclinée qui la termine à sa partie supérieure, qu’est bâtie la ville ; l’autre, se repliant dans le sens à peu près symétrique et opposé, termine de ce côté, par des escarpemens étoilés dont le centre est la hauteur de Sidi-Messid, le massif de Mansoura. Séparées par un abîme d’abord étroit et ténébreux, mais qui bientôt s’élargit et s’ouvre à la lumière, elles se rattachent l’une à l’autre par plusieurs voûtes naturelles, sous lesquelles entre et disparaît la rivière, et par une base commune formant le plan sur lequel les eaux coulent dans la partie haute de leur cours. Quand le Kummel arrive à l’endroit où les deux masses de rochers se quittent et cessent d’être parallèles, le granit dans lequel il avait creusé son sillon manque sous lui, et alors il se précipite pour chercher à 150 pieds au-dessous un autre lit, qu’il se forme dans une terre grasse et abondante, entre des berges couvertes d’une végétation luxuriante et comme entrelacée.

La ville occupe donc un petit plateau, qui s’isole presque entièrement de tout le terrain environnant, ou par de profondes coupures avec des revête-