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travail, il n’y avait pas d’autre dépôt abondant de terre, les autres localités environnantes ne présentant que des pentes rocheuses toutes dépouillées de matières molles. Pour se rendre de la position qu’occupaient les troupes au ravin, il fallait couper obliquement, de haut en bas, un revers de colline exposé à la mousqueterie des assiégés. À l’instant où les corvées qui se rendaient à cette destination dépassèrent les limites du terrain abrité, une fusillade serrée, roulante, s’établit tout le long des murailles de la place ; mais, comme les soldats ne se lançaient sur la ligne périlleuse qu’au pas de course et à un petit intervalle les uns des autres, et que le mouvement continu ainsi que l’échelonnement à différentes hauteurs des personnes visées, trompaient et éblouissaient l’œil des tireurs, il n’y eut que deux hommes atteints dans le trajet, parmi les quatre ou cinq cents qui, successivement, parcoururent cette route, et ce fut deux officiers. Quand les travailleurs, s’enterrant dans l’excavation qui leur servait d’atelier, échappaient aux balles de l’ennemi, celui-ci les poursuivait avec le boulet. Il tirait des coups de canon sur tous les points où il pensait que ses projectiles trouveraient une échappée pour pénétrer dans le ravin, où des groupes d’hommes agglomérés se trouvaient découverts par suite de la distribution et des exigences de la tâche à remplir. L’enceinte dans laquelle avait été placé le poste supérieur du 47e, et une petite mosquée qu’elle entourait, furent criblées de boulets. Pourtant on ne cessa, pendant toute la journée, de perfectionner la batterie de brèche ; mais, quoiqu’elle eût déjà tout son relief, et que, pour l’œil, elle fût comme terminée, elle laissait encore une longue et épineuse carrière aux efforts de l’artillerie. Il fallait, pour établir les plates-formes, entamer le rocher. Toute cette journée et toute la nuit suivante furent absorbées, et au-delà, par ces pénibles travaux. La nuit venue, on commença la place d’armes. Les troupes du 47e, qui occupaient le petit cimetière, avant qu’il ne devînt comme la cible des canons de la place, se postèrent par faibles fractions derrière quelques masures en ruines, semées à droite et à gauche en avant de l’emplacement désigné pour la nouvelle batterie : la réserve restait dans le ravin, tout contre l’épaulement qui s’élevait en sacs à terre. L’ennemi s’aperçut qu’un nouveau mouvement s’opérait pour serrer encore plus étroitement autour de lui le cercle de nos opérations ; il s’agita un peu pour se dégager. Il dirigea pendant quelques momens un feu bien nourri contre les hommes qui, entamant l’ouvrage, ou le conduisant dans sa partie opposée au ravin, ne se trouvaient pas défilés ; mais bientôt, ne comprenant pas l’avantage qu’il avait sur nous dans ce genre de défense, il essaya l’attaque directe et à découvert. Une sortie eut lieu, et des Arabes apparurent sur notre gauche, mais dispersés et incertains : cependant ils se rapprochèrent en se glissant comme des ombres, et finirent par se montrer à petite portée. L’entraînement, l’instinct de la défense, et cet ébranlement électrique qu’occasionne instantanément la présence de l’ennemi, auraient probablement fait partir bien des fusils entre des mains moins calmes, moins faites à la guerre d’Afrique, et moins commandées par la vo-