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quer au pied et à très petite distance des positions qu’occupaient, sur le Mansoura, le 17e léger, les tirailleurs d’Afrique et la compagnie franche de Bougie. Appuyés contre des escarpemens qui les protégeaient, ainsi qu’il était arrivé sur Kodiat-Aty, ils importunaient de leur fusillade nos soldats postés au-dessus de leurs têtes. Ceux-ci, aux premiers coups qui partirent de la batterie de brèche, comme si c’eût été un signal attendu, franchirent leur ligne, et, se laissant tomber du haut de ces coupures à pic, s’abattirent, comme des oiseaux de proie, sur leurs ennemis. Les Arabes, en pleine et rapide déroute, furent poursuivis, l’épée dans les reins, jusqu’à ce qu’ils se fussent réfugiés sous la protection de la mousqueterie de la place.

On se trouvait sur une limite extrême en-deçà de laquelle était encore la possibilité d’éviter les dernières chances d’un siége ; mais, au-delà, on tombait sous la fatalité de l’assaut et de toutes les calamités qu’il entraîne. Avant de franchir ce Rubicon, le gouverneur-général voulut essayer encore d’ouvrir les yeux aux habitans sur les périls que, par une plus longue résistance, ils amassaient sur leurs têtes. Il leur adressa une lettre par laquelle il les engageait à séparer leur cause de celle du bey Achmet et à prévenir la prise de leur ville par la soumission. C’était une commission dangereuse que celle de porter cet écrit à une population chez laquelle l’excitation, cause et résultat d’une vigoureuse défense, devait tourner à l’exaspération et à l’ivresse. Un jeune musulman du bataillon turc ne craignit pas de se charger de ce message, moins effrayant peut-être pour ceux qui possédaient à fond le caractère et les habitudes du pays, qu’il ne le paraissait à nos esprits guidés par des inductions plutôt que par la connaissance de la réalité. En effet, notre envoyé fut admis dans la place où il n’eut à subir ni mauvais traitemens ni avanies. On lui fit attendre la réponse, qu’il ne put rapporter au camp que le lendemain matin. Elle était faite en termes précis et qui ne laissaient aucune prise à l’espoir d’un accommodement ; elle annonçait la résolution d’une défense à outrance et se montait par moment au ton d’une forfanterie assez chevaleresque : « Si vous manquez de poudre, disait-elle, nous vous en enverrons ; si vous n’avez plus de biscuit, nous partagerons le nôtre avec vous. » La lettre avait été reçue et la réponse donnée par Ben-Aïssa, Kabaïle qu’Achmet avait placé dans une haute position à laquelle n’était jamais parvenu aucun homme de cette race, et qu’il avait nommé bey de Constantine, depuis qu’il avait lui-même obtenu de la Porte le titre de pacha. Le kaïd du palais, dignitaire également choisi dans la nation kabaïle, et plusieurs autres des principaux fonctionnaires, avaient adhéré aux idées exprimées par Ben-Aïssa. D’ailleurs ils déclaraient qu’ils avaient soumis à Achmet la lettre du général français ; mais il était aisé de reconnaître qu’ils ne hasardaient rien sous leur responsabilité, et dans leurs paroles on sentait le souffle de l’esprit du maître.

Lorsque la nuit fut venue, on commença la nouvelle batterie de brèche. Les Zouaves fournirent la garde de tranchée et la plus grande partie des travailleurs. On était ardent et âpre à l’ouvrage, car, en approchant du centre vers lequel tendent depuis long-temps les efforts, où est le foyer du péril et