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EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

moins qu’ailleurs, sur les champs de bataille ? De ces trépas qui résultent, non d’un devoir à remplir, mais d’une certaine aisance à se mouvoir sous le feu de l’ennemi, ne sort-il pas un exemple, moins sévère en effet, mais peut-être qui entraîne et exalte davantage ? N’est-il pas vrai enfin qu’une armée ne peut se défendre d’un mouvement de vanité toute virile, en disant : À telle affaire, notre général en chef fut tué ?

Après la mort du gouverneur-général, le commandement en chef revenait de droit au général Valée. Nos jeunes soldats, sans connaître la vie militaire du vieux guerrier, savaient vaguement que c’était un des meilleurs legs que nous eût laissés l’empire, et, en voyant ce nouveau chef à leur tête, ils auraient peut-être senti croître leur confiance, si déjà elle n’eût été dans toute sa plénitude, depuis le moment où ils avaient jugé que la brèche était assurée ; que désormais, entre eux et leur but, il n’y avait que l’assaut ; que c’était, non avec des rochers et des murailles qu’ils auraient à se mesurer, mais avec des hommes, et que bientôt l’affaire allait pouvoir se vider comme en champ clos. Ainsi, malgré l’accident inattendu que le hasard avait jeté à la traverse, la continuité régulière des travaux et des habitudes de l’armée n’éprouva pas le moindre déchirement, pas la plus petite secousse. Hommes et choses ne s’en hâtèrent pas moins avec une rapidité sans tumulte vers le dénouement de l’entreprise. À 9 heures du matin, les batteries qu’on avait établies en arrière de l’ancienne batterie de brèche ouvrirent leur feu ; leur position et l’état des embrasures de la place, déjà mordues et arrachées par nos boulets, rendaient leur tâche plus prompte et plus certaine. Au bout de deux ou trois heures, elles avaient réduit à l’impossibilité d’agir les pièces qui s’étaient parées ou relevées de nos coups. Vers une heure, la nouvelle batterie de brèche se mit à poursuivre l’œuvre de destruction commencée par l’ancienne. Elle trouva les choses à point pour que son action fût rapide et efficace. Le revêtement extérieur de pierres de taille, ne formant plus qu’un réseau de pleins et de vides, laissait passer le boulet, qui arrivait avec toute son énergie jusqu’à la paroi intérieure, déjà ébranlée par les coups de la veille. Bientôt les terres du rempart jaillirent et se répandirent. Peu à peu les dernières pierres se détachèrent ; le massif de terrain qui était en arrière, apparaissant à nu et sans défense, résista peu et s’éboula. Le talus fut formé, et l’on put fixer le moment de l’assaut au lendemain matin. Avant la nuit, on arrêta la composition des colonnes d’attaque. Il y en eut trois. La première, commandée par le lieutenant-colonel Lamoricière, était formée de 40 sapeurs, de 300 Zouaves et des deux compagnies d’élite du bataillon du 2e léger ; la seconde, de détachemens pris dans les sapeurs, les 2e et 3e bataillons d’Afrique, la légion étrangère et le 47e, sous les ordres du colonel Combes ; la troisième, de fractions égales, tirées des quatre brigades. Cette dernière avait pour chef le colonel Corbin, du 17e léger. Ce fut dans toute l’armée un moment de vif émoi que celui où furent distribués les rôles pour la grande scène du lendemain. Les soldats avaient à cœur d’y figurer par un sentiment né des traditions militaires, par la fascination de l’extraordinaire et de l’inconnu, par l’effet de ce bouillonnement