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EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

fausses inductions, voyait-il plus d’issues pour échapper au dernier coup qu’il ne lui en restait en réalité. Peut-être, au contraire, jugeait-il qu’à la distance où se trouvaient les deux adversaires, l’un de la réussite, l’autre de la défaite, il n’y avait plus moyen de s’entendre. Peut-être enfin, se fiant sur l’exemple de plusieurs expéditions des français dans d’autres parties de l’Afrique, voulait-il, plutôt que de faire place à une invasion probablement passagère et de lui creuser son lit aux dépens des avantages et des droits acquis, attendre, sans entamer en rien les choses établies, que le flot, après les avoir submergées, les laissât, en se retirant, intactes, fortes et complètes. Déjà à demi vainqueurs, nous ne pouvions pas avoir moins de fierté que notre ennemi à moitié vaincu. On ne pensa plus qu’à l’assaut. Les batteries de Kodiat-Aty tirèrent toute la nuit à intervalles inégaux, pour empêcher les assiégés d’aggraver les difficultés que présentait naturellement la brèche, en déblayant son pied, en escarpant son talus, ou en jetant sur son sommet des barricades ou d’autres ouvrages défensifs. Déjà, pendant la nuit précédente, ils avaient établi, en arrière de la crête de la brèche, un couronnement en sacs de laine habilement agencés et maintenus, qui aurait opposé aux assaillans, une fois arrivés sur le rempart, un obstacle sérieux et très résistant, si, pendant la journée suivante, nos projectiles n’avaient balayé tout ce terrain. Vers 3 heures du matin, deux officiers allèrent reconnaître la brèche. C’était le capitaine Boutault, du génie, et le capitaine Garderens, des Zouaves. Ils s’avancèrent jusqu’au pied du talus. La nuit était claire et transparente ; ils furent aperçus et salués d’une vive fusillade ; cependant ils accomplirent leur mission sans être atteints, et revinrent sains et saufs après s’être assurés que la brèche était telle que l’avait faite notre artillerie, sans avoir été modifiée par les assiégés au profit de la défense. Mais ils avaient observé que la pente était encore raide et difficile.

Deux heures avant le jour, les colonnes d’attaque se formèrent et allèrent occuper les positions qui leur avaient été désignées. La première s’établit dans la place d’armes, à la droite de la batterie de brèche ; la seconde, dans le ravin servant de communication couverte, et la troisième, derrière le grand bâtiment en ruines sur le bord de la rivière. À 4 heures du matin, le général en chef, le duc de Nemours et les états-majors arrivèrent à la batterie de brèche. Le feu de cette batterie recommença, dirigé sur la brèche même, pour en remuer les décombres, les étendre, et augmenter la base de la pente. Les autres pièces tirèrent activement sur toutes les parties du rempart, dont les défenses pouvaient prendre en flanc les troupes allant à l’assaut, dans leur trajet de la batterie à la brèche. Le jour parut pur et radieux ; à peine levé, le soleil était ardent, l’air était chaud ; c’était un vrai ciel de combat. Vers 6 heures, et avant qu’aucun mouvement extraordinaire, de notre côté, n’eût trahi les préparatifs de l’assaut, une singulière agitation se manifesta parmi les ennemis. Ceux de la ville couvraient, à flots pressés et tumultueux, les talus qui surmontent les escarpemens du sud ; ils paraissaient rassemblés par un sentiment d’attente inquiète, comme la foule qui accourt