Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/571

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
567
EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

le rempart ou s’en isolait. En frappant à coups de hache et de crosse de fusil les battans, on reconnaît qu’ils ne sont pas fixés par des fermetures permanentes, et que, maintenus seulement par des étais mobiles, ils étaient destinés à donner facilement passage aux défenseurs, soit pour la retraite, soit pour un mouvement offensif. Cependant, comme on craint l’impuissance des moyens qu’on a d’abord employés pour forcer ce passage, on fait approcher des sacs de poudre, dont plusieurs soldats du génie avaient été chargés pour de semblables circonstances ; mais, avant d’être forcé de recourir à cette ressource extrême, on parvient à entrouvrir un des battans. Les Arabes, réunis à flots pressés dans la rue, en arrière de la porte, guettaient ce moment et tenaient leurs armes prêtes ; dès qu’ils voient jour à tirer, ils font une décharge générale, et font pleuvoir les balles dans notre colonne. Le capitaine du génie Leblanc a la cuisse fracassée d’un coup de feu qui fut mortel, et plusieurs soldats sont atteints. Alors le capitaine Desmoyen, des Zouaves, se précipite sur le battant pour le refermer, et, pendant qu’il fait effort sur cette masse, il est frappé, dans la gorge, d’une balle qui le jette blessé mortellement, mais respirant encore, sous le coup d’autres périls plus terribles, au milieu desquels il succomba bientôt.

À quelques pas en arrière de cette scène s’en passait une marquée d’un caractère plus lugubre. Un petit bâtiment en saillie, dont le pied avait été miné par les boulets, resserrait un étroit passage tout engorgé d’une foule de soldats. Soit par l’effet de l’ébranlement qu’occasionnaient les mouvemens tumultueux et irréguliers de la troupe, soit par suite d’une machination de l’ennemi et d’une pression qu’il aurait volontairement exercée par derrière sur ce pan de maçonnerie, toute une face du mur ruiné s’écroula. Cette calamité frappa surtout les troupes du 2e léger : plusieurs hommes furent blessés ou entièrement ensevelis. Le chef de bataillon Sérigny, pris sous les décombres jusqu’à la poitrine, vécut encore quelques instans dans une agonie désespérée, implorant à cris étouffés un secours qu’on n’eut pas le temps de lui donner, s’épuisant douloureusement en efforts impuissans pour remuer la masse sous laquelle il périssait, et sentant tout ce qui restait d’entier dans son corps se briser peu à peu.

À peine cet accident venait-il de s’accomplir, qu’un autre encore plus terrible éclata. Le feu des tirailleurs placés sur les toits et peut-être la crainte d’une attaque à l’arme blanche avaient dissipé la multitude d’ennemis ramassés d’abord dans la rue en arrière de la porte. On put bientôt songer à dépasser cet obstacle et à s’avancer dans la direction centrale ; et déjà, pour éclairer et assurer les voies, le colonel Lamoricière venait de lancer en avant un peloton du 2e bataillon d’Afrique. Tout à coup ceux qui étaient sur le théâtre de ces événemens sentent comme tout leur être s’écrouler. Ils sont étreints et frappés si rudement dans tous leurs sens à la fois, qu’ils n’ont pas conscience de ce qu’ils éprouvent ; la vie, un instant, est comme anéantie en eux. Quand ils ressaisissent quelque connaissance, il leur semble qu’ils enfoncent dans un abîme ; la nuit s’est faite autour d’eux, l’air leur manque, leurs