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ville ; il accompagnait le prince de Joinville, qui, débarqué à Bone après que les troupes expéditionnaires avaient quitté Medjez-Amar, avait voulu courir au-devant des travaux et des périls qu’il entrevoyait sous les murs de Constantine. À peine ce régiment eut-il rejoint l’armée, que le mot de choléra circula dans tous les rangs ; et en effet, une épidémie intestinale, quel que fût son nom, se répandait rapidement parmi les Européens, précipitant ceux qui n’étaient encore que chancelans et achevant ceux qui étaient déjà terrassés par des souffrances antérieures. La maladie, il est vrai, contrairement aux habitudes du choléra, qui frappe également le fort et le faible, ne s’attaquait pas aux hommes valides, et ne se jetait que sur les organisations qui lui étaient livrées toutes préparées et toutes affaiblies. Mais quand on vit que l’épidémie enlevait le général de Caraman, on lui décerna, presque sans contestation, le titre de choléra, comme s’il n’y avait que ce fléau qui eût osé tomber sur une des premières têtes de l’armée. Les décès se succédaient rapidement ; tous les matins on emportait de l’hôpital une trentaine de morts, qui, même avant la cessation de la vie, étaient déjà réduits à l’état de squelettes. Les blessures aussi, et surtout celles qui provenaient de l’explosion, tournaient à une mauvaise fin. Beaucoup de brûlés tombaient dans le délire et périssaient dans l’agitation cruelle des transports au cerveau. L’aspect de ces malheureux était hideux, et leurs plaies répandaient une odeur insupportable. Il était temps de retirer l’armée de ce foyer d’infection et de la soustraire, s’il était possible, par le changement d’air et par la dispersion de ses parties trop massées, à ce principe morbide qui la travaillait. Le temps aussi pressait, et les beaux jours, qui avaient été accordés depuis l’entrée des Français dans Constantine, semblaient autant de menaces pour l’avenir. D’ailleurs tout ce qui se pouvait faire dans les premiers momens pour affermir la position de la garnison qu’on devait laisser dans la place conquise, était accompli. Les habitans, sous l’administration du chef qu’on leur avait donné, se montraient dociles et, jusqu’à un certain point, confians en la durée de notre occupation. Les ressources en grains trouvées dans la ville assuraient la subsistance des troupes pour cinq ou six mois. Il ne restait donc plus qu’à prévenir les difficultés qu’aurait rencontrées le retour de l’armée, et surtout celui du matériel, si l’on se fût laissé attarder jusqu’à l’hiver et jusqu’à une série nouvelle de grandes pluies.

Le général en chef, voulant agir par lui-même à Constantine et y conserver des forces imposantes jusqu’à la dernière limite des délais possibles, se fit devancer par les parties de l’armée pour lesquelles les retards avaient le plus d’inconvéniens, par l’artillerie de siége et par les malades et blessés qui étaient en état de supporter le voyage. La première colonne, composée du parc de siége et de plusieurs bataillons d’infanterie, se mit en marche le 20. Elle emmenait aussi le corps du général Damrémont. Elle fut favorisée, dans son mouvement, par un temps magnifique, et le précieux matériel confié à l’armée sous des auspices si incertains, fut remis, par elle, sain, entier et