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L’ORCO.

penchée sur son sein, qui battait avec violence, et semblait écouter les soupirs qui s’en exhalaient. Tout à coup elle redressa la tête, et, levant ses deux bras au ciel, elle s’écria :

— Ô servitude ! servitude !

À ces paroles, des larmes roulant de dessous son masque, allèrent tomber sur les plis de sa robe noire.

— Pourquoi pleurez-vous ? s’écria Franz en s’approchant d’elle.

— À demain, lui répondit-elle. À minuit, devant l’Arsenal.

Et elle sortit par la porte latérale de gauche, qui se referma lourdement. Au même moment l’Angélus sonna. Franz, saisi par le bruit inattendu de la cloche, se retourna, et vit que tous les cierges étaient éteints. Il resta quelque temps immobile de surprise ; puis il sortit de l’église par la grande porte, que les sacristains venaient d’ouvrir, et s’en retourna lentement chez lui, cherchant à deviner quelle pouvait être cette femme si hardie, si artiste, si puissante, si pleine de charme dans ses paroles et de majesté dans sa démarche.

Le lendemain, à minuit, le comte était devant l’Arsenal. Il y trouva le masque, qui l’attendait comme la veille, et qui, sans lui rien dire, se mit à marcher rapidement devant lui. Franz le suivit comme les deux nuits précédentes. Arrivé devant une des portes latérales de droite, le masque s’arrêta, introduisit dans la serrure une clé d’or que Franz vit briller aux rayons de la lune, ouvrit sans faire aucun bruit, et entra la première, en faisant signe à Franz d’entrer après elle. Celui-ci hésita un instant. Pénétrer la nuit dans l’Arsenal, à l’aide d’une fausse clé, c’était s’exposer à passer devant un conseil de guerre, si l’on était découvert, et il était presque impossible de ne pas l’être dans un endroit peuplé de sentinelles. Mais, en voyant le masque s’apprêter à refermer la porte devant lui, il se décida tout d’un coup à poursuivre l’aventure jusqu’au bout, et entra. La femme masquée lui fit traverser d’abord plusieurs cours, ensuite des corridors et des galeries, dont elle ouvrait toutes les portes avec sa clé d’or, et finit par l’introduire dans de vastes salles remplies d’armes de tout genre et de tout temps, qui avaient servi dans les guerres de la république, soit à ses défenseurs, soit à ses ennemis. Ces salles se trouvaient éclairées par des fanaux de galères, placés à égales distances entre les trophées. Elle montra au comte les armes les plus curieuses et les plus célèbres, lui disant le nom de ceux à qui elles avaient appartenu et celui des combats où elles avaient été employées, lui racontant en détail les exploits dont elles avaient été les instrumens. Elle fit revivre ainsi aux yeux de Franz toute l’histoire de Venise.