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tard pour le souper, il avait grand’peine, après avoir fait le tour de la table, à trouver où s’asseoir. Que sais-je ? Ces dignes Césars se permettaient des tours d’écoliers ; s’il dormait après le repas, on lui jetait à la figure des noyaux d’olive ou de datte, on lui mettait des sandales aux mains, et au réveil, se frottant le visage, il était étonné d’avoir des gants si durs. Il était livré aux bouffons, qui le réveillaient à coups de fouet.

Il sentait pourtant quelque honte. Repoussé des honneurs, il alla vivre dans une villa du faubourg de Rome, seul, caché, étudiant toujours. Un jour, Auguste, qui l’entendit déclamer, fut tout étonné de trouver tant d’esprit à cette grosse bête. Claude devint helléniste, savant historien, profond antiquaire ; il écrivit, lut en public ; mais il avait du malheur ; et un gros homme qui, au commencement de sa lecture, cassa plusieurs chaises, mit l’auditoire en telle veine d’hilarité, qu’on ne put l’écouter. Il voulut écrire l’histoire des guerres civiles ; mais le sujet était délicat ; sa mère et sa grand’mère firent l’office de censeur et le découragèrent. Il aimait fort à parler grec ; il donna des soins même à l’alphabet, et, devenu prince, toujours savant, lisant toujours en public, et alors on ne riait plus, il fit un décret pour y ajouter trois lettres nouvelles qui n’y restèrent pas plus long-temps que lui sur le trône.

Mais cet amour pour l’étude fut sans dignité et sans noblesse. D’ailleurs les Romains n’estimaient pas cela ; et Claude, mal noté par eux, tomba dans une sotte et piteuse modestie. Il n’avait auprès de lui que des femmes, des affranchis, des bouffons, gens qu’on appelait les ordures de la maison, copreas. C’était ces hommes-là qu’il aimait, ceux avec qui il jouait aux dés, ceux qu’il appelait à ses énormes et ignobles repas. Débauché sans orgueil, sans passion, sans énergie ; de plus, lâche comme tous les Césars, sanguinaire comme eux, regardant les combats de gladiateurs avec une férocité naïve, en vrai Romain ; venant à l’amphithéâtre dès les premiers rayons du jour ; à midi, lorsque le peuple allait dîner, ne quittant pas sa place ; à défaut de gladiateur, faisant combattre les premiers venus : il avait surtout une prédilection particulière pour les supplices. Il s’y mêlait une certaine délectation d’antiquaire ; il avait trouvé chez les anciens toutes sortes de curiosités en fait de torture, qu’il aimait à donner en spectacle à son peuple. À Tivoli, un jour de solennelle exécution, selon le goût antique, les condamnés étaient attachés au poteau ; le voile était prêt, arbori deligato, caput obnubito ; le bourreau manque. Claude prend son parti ; il attendra, le peuple et les