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sion d’un ancien, le tenait comme perpétuellement frappé de la foudre εμβροντοθεις. Ce que sa bonne, mais faible raison lui avait fait faire au Forum, Messaline et ses affranchis le lui faisaient défaire au palais. Ce n’étaient que suppressions, altérations, suppositions de diplômes ; dans les choix qu’il avait faits, substitution d’un nom à un autre ; libéralités retirées, jugemens détruits ; malgré son serment, tortures infligées à des hommes libres ; malgré son décret, dénonciations d’esclaves ou d’affranchis contre leurs maîtres. Aux affranchis et à Messaline, la libre distribution des honneurs, des armées à commander, des supplices, de tous les bénéfices du pouvoir. Un sénateur avait été tué le matin. « Tes ordres sont exécutés, vient dire un centurion à César. — Mais je n’ai rien commandé. — Qu’importe ? s’écrient les affranchis, les soldats ont fait leur devoir ; ils n’ont pas attendu d’ordre pour venger César. — Allons, la chose est faite ; c’est bien. »

Les affranchis faisaient bonne garde autour de leur empereur ; ils vendaient les audiences, et nul n’entrait sans porter une bague d’or, qu’eux seuls pouvaient donner. Les villes, les rois, leur faisaient la cour, et l’on désertait la table de César lorsqu’on était invité en même temps à celle de l’un d’eux. Aussi ce fut encore un règne de sang. Les rancunes de valet et les jalousies de femme eurent droit de vie et de mort. Une Julie, fille de Germanicus, une autre, petite-fille de Tibère, furent exilées, tuées ensuite par la jalousie de Messaline ; un Vinicius empoisonné, parce qu’il avait été trop chaste pour elle ; elle passait au bourreau les amans dont elle était lasse. Un Pompée fut tué à cause de son nom ; son père et sa mère furent tués aussi pour ce nom, qu’ils ne portaient pas. Dans ses jalousies et ses haines, elle n’oublia qu’Agrippine, occupée qu’elle était à d’autres crimes, dit Tacite.

Un jour, elle devient amoureuse d’un Silanus, le mari de sa mère ; il la repousse ; Messaline s’entend avec Narcisse pour le perdre. Tout à coup avant le jour, Narcisse entre épouvanté dans la chambre de Claude ; il lui raconte que la nuit, en songe, il l’a vu près d’être assassiné par Silanus. Messaline arrive ; elle s’informe, elle s’étonne ; elle a rêvé aussi ; voilà plusieurs nuits qu’elle a toujours cette même vision. Mais bientôt, c’est autre chose encore, on annonce que Silanus est là, qu’il veut forcer les portes du palais (la veille on lui avait fait dire au nom de l’empereur d’y venir de bonne heure). César ne tint pas contre de telles preuves, il le fit tuer sur-le-champ, et vint au sénat rendre grace à son affranchi, qui même en dormant veillait sur son salut.