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dure. Le génie paperassier nous est venu des Romains. D’ailleurs Claude, qui a de mauvaises nuits, sommeille au tribunal ; les avocats, pour l’éveiller, prennent le plus aigre faucet de leur voix : il se secoue ; mais sa raison est toujours endormie, tous les monstres de la chicane se dressent devant lui ; en vain il se retire pour méditer, en vain il écrit sa sentence ; sa délibération tient du rêve, son arrêt du cauchemar. « Je donne gain de cause, dit-il, à ceux dont les raisons sont les meilleures. »

Mais voici un grave débat. — Un homme est poursuivi pour avoir usurpé les droits de cité romaine : pendant qu’on le juge, pourra-t-il porter la toge ? Importante question : Voici comme Claude juge l’incident : il changera d’habit ; pendant le plaidoyer de l’accusateur, il sera en manteau, comme un étranger ; pendant sa défense, en toge, comme un Romain.

« Pourquoi ce témoin est-il absent ? — César, il n’a pu venir. — Pourquoi ? — César, de graves, de solennelles raisons, l’en ont empêché. — Quelles raisons peuvent s’opposer à mes ordres ? — Elles sont irrésistibles, seigneur. — Mais explique-toi. » Et après bien des questions, bien des réponses, bien des circonlocutions, bien des détours : « César, il est mort. » Ainsi se raillait-on du pauvre César.

Cilon, gouverneur de Bithynie, comparaît devant César : « Députés de la province de Bithynie, exposez vos griefs ! » Les Bithyniens reprochent à Cilon ses concussions et ses violences. César n’entend pas, César est distrait ou César dort. Mais César a près de lui son fidèle Narcisse : « Que disent-ils là, Narcisse ? — Seigneur, ils rendent grace à Cilon, qui les a gouvernés avec une sagesse paternelle. — C’est bien : je me souviendrai, Cilon, de tes services ; retourne à ton gouvernement. Qu’on appelle une autre cause. »

C’est un accusé : « Nous permettons, dit César, que l’accusé soit défendu. » — « Graces te soient rendues, excellent prince : c’est du reste ce qui se fait toujours. »

L’accusé est un chevalier romain poursuivi par des calomniateurs ; on lui reproche d’obscènes outrages envers des femmes. On produit les témoins ; il n’y a pour témoins que des courtisanes. Le prince les écoute, recueille leurs témoignages, se fait raconter leurs injures ; leur vertu offensée tient note de tout avec une autorité de magistrat, une gravité de censeur. À tant de niaiseries, la patience de l’accusé ne tient pas ; il injurie Claude, lui jette à la figure ses tablettes et son stylet, et le pauvre maître du monde, blessé à la joue, ne sait encore ce que signifie cet orage.