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LES CÉSARS.

cités du Latium, cités d’Italie, cités des provinces (pays vaincus que Rome appelle courtoisement alliés), admises plus ou moins à ces droits ; — ainsi Rome, la ville typique et primitive, se multipliant sans cesse et partout par les émigrations de ses propres citoyens : envoyant chez les peuples les plus éloignés et les plus différens d’elle-même, des colonies, des Romes provinciales, ambassadrices de la Rome suprême, cités complètes, sacerdotales, consacrées comme elle, qui arrivent enseignes déployées avec leurs augures, leurs sacrifices, chacun déjà propriétaire de son bout de terrain, qui tracent leur enceinte avec la charrue sacrée, ont leur saint pomœrium, leurs portes inviolables, leurs duumvirs pour consuls, leurs décurions pour sénat.

Chez ce peuple, rien ne se fait sans loi ; ordre, légalité, religion, ne sont qu’une même chose ; fils des Étrusques, formaliste, sacramentel, pontifical, il ne fait rien sans des formes prescrites, des paroles consacrées (carmina), sans une solennité augurale, sans une sainteté à la fois légale et religieuse. Voyez seulement comme il a su se nommer ; en aucun pays on ne le fit aussi bien. Chaque Romain porte trois noms : son nom individuel, prænomen ; — le prénom était avec la toge une marque distinctive du Romain, nulle autre nation n’en avait porté, il n’appartenait ni aux femmes, ni aux étrangers, ni aux esclaves : aussi l’usage en était-il de courtoisie et chatouillait-il agréablement les oreilles romaines[1] ; — le nom de la gens, nomen, comme les noms de clans en Écosse. Il y avait à Rome des Claudius, des Tullius, comme il y a dans les Highlands des Mac-Gregor et des Mac-Donald, à l’infini, patriciens ou plébéiens, patrons ou cliens, maîtres ou affranchis : la gens comprend tout ; — enfin le nom de la famille ou de la branche, cognomen, nom dérivé pour l’ordinaire, comme le nom de famille chez nous de sobriquets devenus héréditaires : Scipio, l’homme au bâton ; Naso ou Nasica, le grand nez ; Cicéro, l’homme aux pois chiches. Le Romain était tellement fier d’être si bien nommé, que porter trois noms voulait dire un homme libre.

Ce n’est pas tout encore. Il y avait l’agnomen, le surnom individuel ; il y avait le nom d’adoption, le nom modifié de son ancienne famille, le seul souvenir que l’adopté conservât d’elle. Ainsi le second des Scipions, né dans la famille Emilia, adopté par les Cornélius, vainqueur de l’Afrique, avait pour prénom Publius, pour nom Cornélius, pour surnom de famille Scipio, pour nom d’adoption Emilianus, pour surnom personnel Africanus.

  1. … Gaudent prænomine molles auriculae.(Horace.)