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LES CÉSARS.

nulle ressource que l’audace. Les complices ne manqueraient pas, tant d’autres couraient les mêmes dangers. Il n’avait pas d’enfant, pas de femme ; il était prêt à épouser Messaline, à adopter Britannicus : à elle demeurerait le pouvoir. Il ne s’agissait que de prévenir Claude, facile à surprendre, prompt à se venger. » Ces paroles furent reçues froidement par Messaline. Ce n’était certes pas amour pour son mari ; mais elle craignait que Silius, arrivé au faîte du pouvoir, ne méprisât une infâme et n’appréciât à sa juste valeur un crime auquel elle aurait consenti par crainte du danger. Cependant la cérémonie d’un mariage lui sourit, ne fût-ce que pour l’étrangeté d’une telle infamie, le plus raffiné plaisir de ceux qui ont abjuré toute honte. Claude était allé faire un sacrifice à Ostie ; elle n’attendit pas plus tard pour célébrer en toute solennité cette union. Je ne l’ignore pas, dit Tacite, une telle sécurité paraîtra fabuleuse ; je ne raconte cependant rien que je n’aie lu, que je n’aie entendu de nos vieillards. Dans une ville instruite de tout, parlant de tout, à un jour marqué, un consul désigné et la femme du prince s’unirent en mariage ; il y eut des témoins appelés pour mettre le cachet sur leur contrat, des auspices, des sacrifices, une dot d’un million de sesterces ; il fut écrit dans l’acte que les conjoints se mariaient pour avoir des enfans ; l’impure Messaline porta le voile de safran des fiancées ; les conviés s’assirent au festin ; le lit consacré au Génie nuptial, couvert de pourpre de Tyr, fut préparé devant tous les yeux. Claude même, dit-on, avait signé le contrat de mariage : on lui persuada que c’était quelque talisman propre à détourner les périls dont le menaçaient les devins de Chaldée. Tout se fit selon les rits sacrés, selon les lois antiques ; Messaline ne voulait que d’un bon et légitime mariage[1].

Tout cependant se fût bien passé pour elle, si elle n’eût irrité les affranchis ; mais elle avait fait périr Polybe, qui avait été son amant, et tout le corps était révolté contre elle. « À la nouvelle de son mariage, la maison du prince fut saisie d’horreur et de surprise ; ceux qui étaient en crédit, qui allaient être en danger si la face des choses changeait, ne se parlaient plus secrètement, ils s’écriaient tout haut : « Quand un histrion avait souillé la couche du prince, c’était une honte, ce n’était point une révolution. Aujourd’hui, un jeune patricien, audacieux et beau, tout près d’être consul, devait, après un tel mariage, pousser plus loin ses espérances. » Ils pensaient avec crainte à l’imbécillité de Claude, au joug que lui imposait sa femme, à tant de

  1. Non nisi légitime vult nubere.(Juvénal.)