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qui avait combattu l’hymen d’Agrippine, qui avait défendu Lépida, qui, pour avoir trop bien servi son maître, était devenu successivement l’ennemi de ses deux femmes ; Narcisse, fidèle au moins à son patron, prenait Britannicus sous sa protection, l’embrassait, invoquait le ciel pour lui, lui souhaitait de grandir, de devenir prince, de punir, disait-il même, les meurtriers de sa mère. Les délateurs, hardis à deviner et à suivre les moindres oscillations du pouvoir, murmuraient quelque chose des désordres et de l’ambition d’Agrippine ; et Claude, après avoir condamné une femme adultère, disait : « Le mariage m’a été funeste à moi-même ; mais si le sort m’a destiné à épouser des femmes impudiques, il me destine aussi à les punir. »

Agrippine, effrayée, se résolut à un coup de hardiesse. Locuste fut appelée en conseil ; un poison trop rapide rendrait manifeste le meurtre de Claude, un poison lent lui donnait le temps de se reconnaître et de rétablir les droits de son fils. Le danger était pressant néanmoins et l’occasion propice ; Claude écrivait son testament, faisait prendre la toge virile à Britannicus ; Narcisse, le fidèle gardien de César, était en Campanie, prenant les eaux pour la goutte. Locuste trouva « quelque chose de recherché en fait de poison, qui devait troubler la raison, et n’éteindre que lentement la vie. » Un eunuque (la cour s’en remplissait déjà) fit prendre ce poison à Claude dans un champignon qu’il savoura avec délices, et que Néron depuis, faisant allusion à son apothéose, appelait le mets des dieux. Claude pourtant ne succombait pas : le danger enhardit Agrippine contre l’infamie, et le médecin Xénophon, pour qui, peu de temps auparavant, Claude sollicitait un décret du sénat, lui donna le dernier coup.

Claude était mort ; le sénat cependant votait des prières pour sa vie, les prêtres étaient au temple, des comédiens étaient appelés au palais pour distraire le malade, et, comme pour lui donner de la chaleur, des couvertures étaient jetées sur ce cadavre. Il fallait préparer les voies pour Néron, il fallait gagner l’heure que les astrologues avaient annoncée comme favorable, tant on était superstitieux dans le crime. En l’embrassant, en pleurant avec lui, Agrippine, devenue tout à coup caressante, retenait Britannicus dans sa chambre ; Antonia et Octavie, ses sœurs, étaient aussi confinées ; toutes les issues du palais gardées : Claude allait mieux. À midi, l’heure où il devait officiellement mourir, les portes s’ouvrent. Accompagné du vertueux Burrhus, Néron se présente à la cohorte qui était de garde, et, sur l’ordre de leur chef, les soldats le saluent de leurs acclamations, le mettent en litière. Il y en eut bien qui hésitèrent, qui regardèrent