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chose, et je crois même qu’il est permis de la considérer comme nulle. M. Sue prétend que la conspiration du chevalier de Rohan était républicaine et que les historiens ont ignoré le véritable caractère de cette conspiration ; à l’appui de cette assertion, il cite plusieurs fragmens des statuts républicains rédigés en latin par l’un des agens de la conspiration, par un maître d’école hollandais. Mais ce maître d’école figure dans la conspiration comme agent et non comme acteur. À vrai dire, il n’est qu’un instrument passif dont tous les mouvemens sont réglés par la volonté de Latréaumont. Or, de l’aveu de M. Sue, comme d’après le témoignage du marquis de Lafare, Latréaumont n’a jamais nourri de principes républicains. Il a trouvé sous sa main un homme savant, probe et crédule, capable d’un dévouement sans bornes aux idées républicaines, et, pour l’associer à ses projets, il lui a montré dans un prochain avenir l’établissement d’une république. Il avait besoin, pour obtenir les vaisseaux et l’argent de l’Espagne et de la Hollande, du nom d’un grand seigneur, et il a trouvé un cadet de famille ruiné, le chevalier de Rohan, qui a vendu son nom pour cent mille écus. Or, le chevalier de Rohan, en s’avilissant pour cent mille écus, ne songeait pas à fonder une république.

Il est probable que le public, habitué à ne voir, à ne chercher dans M. Eugène Sue qu’un romancier, ne le chicanera pas sur sa prétendue découverte, et oubliera ses prétentions historiques comme il a oublié ses prétentions philosophiques. Pour notre part nous renonçons de grand cœur à prolonger cette discussion et nous acceptons volontiers Latréaumont comme un roman. Un bon roman n’est pas chose si commune que la critique ait le droit de le dédaigner ; et puisque M. Sue, en commençant une série de romans historiques, semble promettre de s’amender et de traiter sérieusement, avec soin, avec patience, l’invention des personnages et des épisodes qu’il avait jusqu’ici traitée cavalièrement, nous étudierons son œuvre nouvelle avec toute l’attention que l’auteur ne craint pas de solliciter. Est-ce orgueil ou modestie de sa part ? peu nous importe. Il croit avoir fait un bon livre ; s’il se trompe, le public saura bien l’éclairer ; s’il a raison, si la bonne opinion qu’il a de lui-même ne trouve pas de contradicteurs, les applaudissemens qu’il aura recueillis seront pour lui un utile encouragement.

Les personnages de Latréaumont ne sont pas nombreux, et cependant, à mesure qu’un de ces personnages entre en scène, le lecteur se sent saisi d’un mouvement d’impatience. Pourquoi ? C’est que chacun de ces personnages est annoncé comme un évènement de la plus