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tuait les droits seigneuriaux proprement dits. Le fellah pouvait vendre, donner, transmettre à ses enfans, la terre qu’il cultivait ; mais elle demeurait grevée à perpétuité de la redevance seigneuriale. Le moultézim pouvait même augmenter cette redevance, faculté dont les intendans cophtes abusaient souvent contre le fellah. Si celui-ci mourait sans enfans, la terre qu’il possédait revenait au moultézim ; ce qui n’avait pas lieu pour les autres objets possédés par le fellah, tels que sa maison, ses meubles, ses troupeaux, qui appartenaient au fisc.

Dans les terres d’oussyeh, le fellah n’était qu’un simple manouvrier, et tout le revenu appartenait au moultézim, après toutefois que le miri avait été prélevé. Ces sortes de propriétés étaient dirigées par des régisseurs, et exploitées au moyen de la corvée et du salaire.

Le moultézim pouvait donner ou vendre sa terre à d’autres moultézims, la transmettre à ses enfans ou à ses héritiers testamentaires. Lorsqu’un moultézim venait à mourir, ses enfans ou ses héritiers testamentaires devaient, pour succéder, obtenir l’investiture du pacha. Cette investiture n’était accordée qu’après l’acquittement d’une taxe ou droit de succession, cette taxe était considérée comme le rachat de la terre, qui sans cela aurait dû retourner au sultan. Si le moultézim ne laissait ni enfans, ni testament, ses terres retombaient dans le domaine public. Il n’y avait pas de succession collatérale ; l’état excluait même les ascendans.

On comprenait sous la dénomination générale d’ouakf les biens affectés aux fondations pieuses. Quand ces biens consistaient en terres, elles prenaient le nom, de rizkah. La plupart de ces donations ayant une origine antérieure à la conquête des Turcs, leur caractère religieux les plaça en dehors du droit commun, et elles ne furent pas soumises au miri établi par Sélim, après qu’il se fût rendu maître de l’Égypte. Les constitutions d’ouakf avaient primitivement pour objet la fondation de colléges ou médressés, la dotation de mosquées, l’établissement de bornes-fontaines, l’entretien de lampes de nuit ; quelques-unes étaient appliquées à des distributions gratuites d’eau ou de pain, ou à des prières sur des tombeaux. Mais, insensiblement, l’usage s’introduisit de consacrer une portion des revenus de l’ouakf à créer des pensions en faveur de personnes désignées par le fondateur, et même en faveur des membres de sa famille. Alors, sous le manteau de la religion, on se servit de ce moyen pour conserver les biens dans les familles, et pour les soustraire aux usurpations des beys, au miri et au droit de succession. Afin de prévenir ces abus, il fut ordonné que les constitutions d’ouakf ne pourraient être faites qu’avec l’autorisation du gouvernement. Ces sortes de biens étaient frappés d’une inaliénabilité absolue, ce qui tendait à en augmenter sans cesse le nombre, si bien que tout le territoire aurait fini par être soumis à ce mode de constitution de propriété. On pouvait pourtant faire la cession d’une terre d’ouakf pour le laps de quatre-vingt-dix années ; c’était une sorte de bail emphytéotique. On recevait, pour prix de cette aliénation temporaire, une somme déterminée, et un petit droit annuel appelé égr, qui veut dire con-