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du ministère sur les canaux et les chemins de fer sont gigantesques ; mais en voyant ce que projette l’Allemagne, ce qu’exécutent déjà des états tels que Baden et le Wurtemberg, et en reportant ses yeux sur l’étendue, sur la richesse de la France, on se demande si nous ne serions pas au contraire mesquins ou du moins arriérés en fait de civilisation et d’améliorations matérielles.

Louis XIV avait conçu et exprimé la grande pensée de ce projet long-temps avant l’invention des rails et des locomotives terrestres et navales par la vapeur, quand il publia le bel édit de 1666, par lequel il ordonna l’ouverture du canal du Languedoc. Dans le préambule de cet édit, Louis XIV disait qu’il voulait donner à toutes les nations du monde, ainsi qu’à la France, la faculté de faire en peu de jours, par l’intérieur du royaume, un trajet qu’on ne pouvait entreprendre que par le détroit de Gibraltar, avec beaucoup de dépenses et de temps. — Maintenant que nous n’avons plus à alléguer ni les troubles civils, ni la guerre extérieure, laisserons-nous dormir encore un siècle la pensée de Louis XIV, quand l’Europe tout entière se réveille autour de nous avec des pensées qui semblent inspirées par celle-ci ? Resterons-nous en arrière du mouvement général, et voudrions-nous prendre dans l’ordre moral des nations une situation analogue à notre position géographique : en tête de l’Espagne et à la queue de la Prusse et des états du Rhin ? Ou au contraire, saisissant la place que Dieu semble nous avoir assignée en nous accordant tant d’illustres génies et tant de grands rois, nous mettrons-nous entre deux civilisations, celles du Nord et du Midi, leur tendant à toutes deux les mains, ouvrant notre territoire à leurs intérêts, qui serviront les nôtres, et traçant de l’une à l’autre des routes et des canaux, pour les accroître et les rapprocher ?

Ce rôle est plus digne de la France ; mais il s’élève d’étranges objections. N’a-t-on pas dit que les lois des chemins en fer et des canaux nuiraient au remboursement de la rente, à la conversion du cinq pour cent, que demande M. Gouin, sans indiquer la route à suivre ? Franchement, s’il en est ainsi, et s’il faut opter, nous croyons qu’il est plus urgent de faire des canaux et des routes, et que l’habitant de l’Auvergne, qui manque de pain, voyant arriver le blé dont on ne sait que faire au fond de la Bretagne, croira plus à la sollicitude du gouvernement, que s’il se trouvait imperceptiblement dégrevé de sa part dans l’économie annuelle de 10 millions que donnera peut-être un jour la conversion des rentes. C’est sans doute quelque chose que dix millions, et une économie de cette importance ne doit pas être dédaignée ; mais aussi quel accroissement de revenus la France ne trouvera-t-elle pas dans un accroissement de communications intérieures et extérieures ? Qu’on se reporte au passé, qu’on songe à ce que la France a gagné par ses routes, tout incomplètes qu’elles sont ! En Vendée, où l’on trace des routes militaires, le prix des terres a augmenté d’un tiers en trois ans. M. Lafitte a dit, dans un opuscule en faveur de la réduction des rentes, ces paroles qui parlent encore bien plus haut contre la réduction, si elle doit empêcher l’exécution des chemins de fer et des canaux : « La progression des richesses, quand le mouvement est donné à un peuple, est immense. Elle est telle que le capital d’autrefois n’est rien près du capital d’aujourd’hui. Que serait, en effet, la dette du Régent, ou de l’abbé Terray, ou de Calonne, pour la France actuelle ? Que seraient pour nous les 56 millions qui affec-