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trouvons pas un corps sacerdotal pourvu de cette organisation qui a rendu si puissans les prêtres de l’Égypte et de l’Inde. La diète amphictyonique fut bien, il est vrai, une réunion sacrée ; ce fut une sorte de centre religieux, si l’on veut, même un synode, mais un synode où dominaient les laïques et où l’on réglait plutôt des intérêts politiques que des croyances religieuses.

Tout cela est vrai, mais n’implique pas contradiction. Si l’on ne trouve point en Grèce les grands caractères des époques sacerdotales, c’est qu’on cherche l’ère hiératique où elle n’est plus. La grande, la véritable époque sacerdotale, en Grèce, est au-delà des temps historiques. Il faudrait, pour la voir en face, percer la nuit des siècles fabuleux. Ce sont les demi-dieux, ceux qu’on a appelés les fils de la Terre et du Ciel, les serviteurs de Rhée et de Saturne, les nourriciers de Jupiter, qui ont été les premiers prêtres de ces divinités ; en un mot, les Curètes, les Dactyles, les Cabires, les Titans, les Telchines, les Cyclopes, ont été les plus anciens prêtres grecs, les membres du sacerdoce pendant la première et grande époque hiératique.

Qu’on ne croie pas, toutefois, que je veuille ressusciter le système d’Évhémère.

Il y a eu, comme on sait, dans l’antiquité deux grands systèmes qui prétendaient avoir trouvé la clé des fables populaires. L’un, qui fut celui de Pythagore et que les platoniciens adoptèrent, recourait, pour l’interprétation des mythes, à des allégories morales et à des explications cosmogoniques ; l’autre, qui fut celui des épicuriens et des stoïciens, eut pour chef Évhémère. Dédaignant les exégèses physico-mystiques, ce système donnait à la mythologie grecque une source purement humaine et historique ; il expliquait toutes les légendes fabuleuses par l’apothéose. Les dieux n’étaient que des rois déifiés : Jupiter était un ancien monarque de l’île de Crète, dont on voyait encore le tombeau. Tous les sceptiques du paganisme acceptèrent cette explication. Diodore de Sicile, entre autres, l’admit sans restriction ; Cicéron lui paraît favorable, ou du moins ne lui oppose qu’une très indulgente réfutation[1]. Enfin, les fondateurs du christianisme, les pères de l’église, qui trouvaient dans cette hypothèse irréligieuse la négation formelle du polythéisme, ne manquèrent pas de la répandre et de l’accréditer.

Mais l’évhémérisme a trouvé de redoutables contradicteurs chez les modernes. D’habiles critiques, et Fréret à leur tête, ont fait remarquer qu’il était absurde de supposer l’existence, en Grèce, de florissantes monarchies à une époque où cette contrée n’était habitée que par des sauvages semblables en tout à ceux de la Nouvelle-Hollande[2]. L’évhémérisme est mort sous leurs puissantes attaques[3].

Le système qui reconnaît les prêtres de la première époque hiératique dans

  1. Cicer., De natur. Deor., lib. i, cap. xlii, et lib. iii, cap. xvi.
  2. Un autre système reporte à des rois étrangers, égyptiens ou autres, l’origine des dieux de la Grèce : c’est une variété moderne de l’évhémérisme, que je n’ai pas mission d’examiner.
  3. Fréret, Observ. sur l’ancienne histoire des premiers habitans de la Grèce. Acad. des Inscript., tom. xlvii, pag. 1 et suiv.