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sont pas les seuls défauts du premier volume. Non seulement, en effet, les personnages et les incidens se multiplient sans que l’action principale s’engage ou promette de s’engager, mais il n’y a aucune relation nécessaire entre les différens chapitres de ce premier volume. De vingt pages en vingt pages, le lecteur assiste au début d’une action nouvelle qui ne se continue pas ; il voit paraître de nouveaux personnages qui ne demeurent pas en scène. Le rapport de succession est perpétuellement substitué au rapport de génération. L’action, au lieu d’être préparée par cette énumération préliminaire d’incidens et de personnages, semble être ajournée indéfiniment, et l’esprit impatient croit voir dans chaque nouveau chapitre la promesse d’un nouveau livre qui ne commence jamais. Certes, c’est là un défaut grave et qui ne se rencontrait pas dans les premiers ouvrages de M. Sue. Comment l’auteur, dont les débuts datent déjà de sept ans, est-il tombé dans cette singulière méprise ? comment est-il arrivé à confondre la succession et l’enchaînement ? il est probable qu’il s’est exagéré la nécessité des préparations en raison directe de l’importance du sujet. Abordant l’histoire pour la première fois, il s’est cru obligé de prouver son érudition ; préoccupé de sa prétendue découverte, il s’est imposé comme un devoir de multiplier les preuves destinées à en démontrer l’authenticité. C’est là, si je ne m’abuse, l’origine de l’exposition interminable qui remplit le premier volume de Latréaumont. Pris en eux-mêmes, abstraction faite de l’action qui va suivre, et qu’ils devraient préparer, les différens chapitres de ce premier volume ne manquent certainement pas d’intérêt ; mais pour trouver quelque plaisir dans cette lecture, il est indispensable d’oublier que l’auteur nous a promis une tragédie ; car pour peu que l’esprit se souvienne de cette promesse, il arrive naturellement à s’interroger d’heure en heure, et chacune des questions qu’il s’adresse n’obtient d’autre réponse qu’un perpétuel désappointement.

L’exposition de Latréaumont se divise en trois parties. Je me sers du mot division, faute d’en trouver un qui traduise plus nettement ma pensée ; car, en vérité, il serait permis de placer la seconde partie avant la première, la troisième avant la seconde, sans que cette transposition nuisît à la clarté du récit. Or, il est évident que là où les parties d’un tout ne sont pas ordonnées d’une façon nécessaire, le tout n’existe pas, et que, par conséquent, les parties elles-mêmes sont réduites à l’état de purs élémens et attendent, pour mériter le nom de parties, une organisation définitive. Que si cette distinction paraissait à M. Sue et aux lecteurs de Latréaumont plus subtile que vraie, je prierais l’au-