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d’Éleusis la vue des Champs-Élysées et du Tartare. Je ne diffère avec lui qu’en un point : je crois que ces représentations avaient lieu seulement dans les petits mystères. Ce qui m’affermit dans cette croyance, c’est de voir Empuse, le lac de l’enfer, Charon et sa barque, les mystes et leurs chants, transportés dans les Grenouilles d’Aristophane :

« Là, dit Hercule à Bacchus, tu trouveras des serpens, des monstres affreux ; … ensuite le bourbier fangeux où sont plongés les violateurs de l’hospitalité, les parjures, les parricides… Plus loin, le doux son des flûtes charmera tes oreilles ; tu verras, comme ici, la lumière la plus pure, des bosquets de myrte, des chœurs bienheureux d’hommes et de femmes, et de gais applaudissemens.
BACCHUS.
Quels sont les habitans de ce séjour ?
HERCULE.
Les initiés[1]. »

Bacchus rencontre, en effet, sur sa route, tout ce qu’Hercule lui a prédit. Il trouve d’abord Charon et Empuse, puis les demeures bienheureuses où un chœur de mystes chante ce qui suit :

« Vous qui êtes admis à cette religieuse solennité, livrez-vous aux jeux de ce riant bocage. Dansez en rond en l’honneur de la déesse. Moi, je vais me joindre aux filles et aux femmes, dans l’enceinte où se célèbre la fête nocturne de Cérès ; je porterai le flambeau sacré. Allons dans les prés fleuris et parsemés de roses nous exercer, selon notre usage, à ces danses auxquelles président les Parques fortunées. Le soleil et la lune ne brillent que pour nous seuls, qui sommes initiés, et qui, pendant notre vie, avons été bienfaisans envers les étrangers et nos concitoyens[2]. »

Je ne puis croire que si la vue du Tartare et de l’Élysée eût fait partie des grands mystères on eût ainsi permis de les montrer sur le théâtre public d’Athènes.

M. James Christie, dans son ouvrage sur les Peintures des vases grecs considérées dans leurs rapports avec les représentations d’Éleusis et des mystères[3], croit reconnaître sur quelques-uns de ces vases les sujets des nombreuses scènes dramatiques qui accompagnaient, suivant lui, les célébrations mystiques. Long-temps avant la publication de l’ouvrage de M. Christie, Eggling avait supposé qu’un vase antique du cabinet du duc de Brunswick représentait d’une manière abrégée les mystères d’Éleusis[4], et Montfaucon, dans l’Antiquité expliquée, ne répugne pas à cette opinion[5].

Cependant quand on songe au secret imposé aux mystes, secret si bien observé, qu’il ne nous est parvenu sur les mystères qu’un petit nombre de demi-confidences et d’imparfaites indications, on est porté à rejeter la conjecture de M. Christie. Il semble, en effet, que c’eût été, de la part des artistes grecs, une indiscrétion bien téméraire, que d’exposer aux yeux de tous des

  1. Aristoph., Ran., v. 145, seqq.
  2. id., ibid., v. 440, seqq.
  3. Disquisitions upon the painted greck vases. London, 1825, in-4o
  4. Myst. Cer. et Bacch. in vasculo ex uno onyche, tom. VII, Antiq. Græc. Gronov., col. 57-74.
  5. Montfauc., Antiq. expl., tom. II, pag. 182, pl. LXXVIII.