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ORIGINES DU THÉÂTRE.

Bacchus que se produisirent les deux plus graves usurpations qu’ait eu à subir le pouvoir hiératique en Grèce.

La première de ces usurpations est la présidence des mystères dionysiaques assumée par les magistrats civils. Le plaidoyer de Démosthène contre Neæra nous apprend que les sacrifices secrets et les mystères, célébrés aux anthestéries étaient confiés à quatorze femmes nommée Geraræ. Ces prêtresses laïques étaient choisies par l’archonte-roi, et présidées et purifiées[1] par la femme de ce magistrat, à laquelle on donnait le nom de reine.

La seconde usurpation prouva plus clairement encore l’impuissance où était le sacerdoce grec de conserver plus long-temps le monopole des arts et de la poésie. Je veux parler de la révolution qui substitua les épisodes héroïques et la tragédie indépendante aux chœurs purement bachiques. Alors, dans l’enceinte même de l’hiéron de Bacchus, s’élevèrent des tréteaux et bientôt un théâtre, dont les représentations publiques contre-balancèrent l’éclat des représentations secrètes du sanctuaire. Comme traces de cette origine mystique, nous voyons le principal prêtre de Bacchus occuper une place d’honneur sur les premiers gradins du théâtre d’Athènes[2], à peu près comme nous verrons plus tard notre clergé, dans la personne des confrères de la Passion, conserver long-temps une loge grillée au Théâtre-Français, sous le titre de Loge des maîtres.

Ce fut, comme on voit, par le culte de Bacchus, plus nouveau, moins uni, moins résistant que celui de Cérès, que s’ouvrirent les brèches par où fut entamé le système de résistance élevé par le sacerdoce grec. Les établissemens mystiques se multiplièrent à l’infini. Ceux qui relevaient du culte de Cérès-Éleusine demeurèrent assez long-temps dans une position de déférence qui assurait l’unité ; mais les nombreux mystères de Bacchus furent essentiellement anarchiques. Dès le temps d’Hérodote, les institutions orphiques ou bachiques, comme il les appelle, se distinguaient par leur singularité. Platon nous montre les orphéotélestes, dépositaires des prétendus livres d’Orphée et de Musée, offrant à tous les gens riches de les purifier, et parvenant à séduire non-seulement des particuliers, mais des villes et des républiques[3]. « Le superstitieux, dit Théophraste, ne manque pas d’aller tous les mois se faire purifier chez les orphéotélestes, et d’y conduire sa femme et ses enfans encore dans les bras de leurs nourrices[4]. »

Les orgies du Bacchus phrygien, appelé aussi Sabazius, n’étaient que tolérées à Athènes. Par allusion à la naissance incestueuse de ce fils de Proserpine et à la fascination que Jupiter avait, disait-on, exercée sur elle par la vue d’un serpent, on glissait le simulacre d’un reptile dans le sein des initiés, et on l’en retirait par-dessous leurs vêtemens. Démosthène reproche à Eschine

  1. On purifiait les prêtresses électives et les aspirans à l’initiation au moyen de l’air. Le van mystique était l’instrument de cette bizarre cérémonie : mystica vannus Iacchi. Le van était aussi le symbole de la séparation des initiés et des profanes. Voyez Sainte-Croix, Recherches sur les Mystères, tom. i, pag. 329, et tom. ii, pag. 80.
  2. Aristoph., Ran., v. 297, Schol., ibid.
  3. Plat., De republ., lib. ii, pag. 364, C.
  4. Theophr., Charact., 17.