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durée de leurs fonctions. Un peu plus tard, ils paraissent avoir reçu un salaire en argent. Xénophon, improbateur éloquent des institutions démocratiques de sa patrie, se plaît à nous montrer les riches écrasés par les dépenses des chœurs et du service maritime, tandis que le peuple se faisait payer pour chanter, pour courir, pour voguer dans les galères, ayant à cela le triple plaisir de s’amuser, de s’enrichir et d’appauvrir les riches. Les Athéniens étaient même si jaloux de figurer seuls dans les chœurs, qu’une loi formelle en excluait les étrangers, et condamnait à 1000 drachmes d’amende chaque infraction à cette loi. Un riche chorége, nommé Démade, ayant voulu faire paraître cent danseurs étrangers sur le théâtre, apporta la somme nécessaire pour acquitter l’amende, séance tenante[1]. L’exclusion s’étendait aux personnes diffamées et aux esclaves, comme nous l’apprend Xénophon. Néanmoins, on lit dans Plutarque que Nicias faisant les frais d’un chœur tragique, un de ses esclaves, jeune homme d’une taille élégante et d’une beauté singulière, traversa la scène habillé en Bacchus, et que les spectateurs, charmés de sa figure, battirent long-temps des mains. Alors Nicias, s’étant levé, dit à l’assemblée qu’il se croirait coupable d’impiété s’il retenait dans la servitude un homme que la voix du peuple venait de consacrer comme un dieu, et sur-le-champ il l’affranchit[2]. Mais cette historiette ne contredit pas l’assertion de Xénophon. D’abord il n’est pas dit expressément que l’esclave fit partie du chœur ; ensuite il faudrait seulement conclure de ce récit que les pures règles de la choragie commençaient à s’affaiblir ; et, en effet, Aristote, dans ses Problèmes, parle de la présence exclusive des personnes libres dans les chœurs comme d’un usage tombé en désuétude[3].

Les femmes faisaient-elles partie des chœurs scéniques ? Le doute que j’émets ici pourra surprendre. Je n’ignore pas que l’on est à peu près d’accord pour admettre la négative ; je sais fort bien que les femmes ne montaient pas sur la scène grecque proprement dite, et que leurs rôles, dans les tragédies, les comédies et les drames satiriques, étaient remplis par des hommes ; mais étaient-elles également exclues des chœurs, c’est-à-dire, des danses religieuses du thymélé et de l’orchestre ? À cet égard je n’ose rien affirmer.

On objecte la semi-réclusion des femmes grecques ; mais qu’on y réfléchisse : ces habitudes de modestie et presque de clôture cessaient aussitôt qu’il s’agissait de fêtes religieuses, et particulièrement du culte de Bacchus. Or, les jeux du théâtre étaient essentiellement religieux. On prétend que les femmes ne pouvaient pas même assister comme spectatrices aux représentations scéniques ; c’est une opinion contre laquelle je me réserve de présenter plus loin plusieurs observations restrictives. Certes, même en écartant les danses nues des jeunes filles de Laconie, il reste toujours les théories des canéphores aux Panathénées et la part active et gracieuse que prenaient partout les jeunes filles grecques aux chœurs cycliques et dithyrambiques ; il reste les hymnes chantés par elles et nommés de leur nom Parthénies ; il reste ce

  1. Plutarch., Phoc., cap. xxx
  2. id., ibid., cap. III.
  3. Probl., XIX, § 15.