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ORIGINES DU THÉÂTRE.

sion n’a-t-elle pas été imposée par une loi formelle ; je crois plutôt qu’elle arriva d’elle-même par l’appauvrissement graduel des citoyens et par le peu d’attrait qu’offraient les chœurs comiques privés de parabases et de toutes railleries malignes :

..... Lex est accepta, chorusque
Turpiter obmutuit, sublato jure nocendi
.

Ménandre, suivant Donat, disposa le premier ses fables de manière à pouvoir se passer de chœurs[1]. Cependant Alciphron, qui, bien qu’écrivant long-temps après Ménandre, devait chercher à conserver le costume de l’époque, nous montre ce poète exhortant le parasite Philopore à s’engager dans un chœur comique[2]. Mais Alciphron n’a dû vouloir exprimer, par cette locution reçue, que la troupe des acteurs comiques.

Quant aux chœurs tragiques, qu’on n’aurait pu supprimer sans abolir la tragédie même, ils furent conservés ; mais ils éprouvèrent de grandes modifications après les malheurs de la guerre du Péloponèse. Alors les fortunes des particuliers furent si tristement réduites, que la choragie commença à devenir une charge trop pesante. Alors on s’habitua à ranger la choragie parmi les accidens funestes qui changent inévitablement la richesse en pauvreté : Antiphane dit dans une de ses comédies intitulée le Soldat :

« Vous êtes dans une grande illusion si vous croyez posséder quelque chose d’assuré dans la vie. Un impôt vous enlève toutes vos épargnes, ou bien un procès inopiné les dissipe. Nommé stratége, vous êtes abîmé de dettes ; chorége, il ne vous reste que des haillons, pour avoir fourni au chœur des habits couverts d’or. »

Quelques critiques ont avancé, d’après Saumaise, que les choréges subvenaient à la totalité des frais scéniques. C’est une erreur. Les choréges ne se mêlaient en rien de ce qui concernait les acteurs, les décorations ni le local. Les dépenses qui tombaient à leur charge, même réduites à ce qu’exigeaient les chœurs, étaient bien assez considérables. Lysias établit qu’un de ses cliens avait dépensé 5,000 drachmes[3] pour deux chœurs de tragédie, fournis, l’un en son nom, l’autre au nom de son père[4]. Le même orateur nous a conservé la note exacte des frais dans lesquels entraînaient les diverses choragies. Ce document est précieux. « Nommé, dit-il[5], chorége pour les tragédies, sous l’archonte Théopompe[6], je tirai 30 mines de ma bourse[7]. Trois mois après, je remportai le prix aux Thargélies avec un chœur d’hommes, et il m’en coûta 2,000 drachmes, plus 800 sous l’archonte Glaucippe, pour des pyrrhichistes aux grandes Panathénées ; sous le même archonte, aux Dionysies, je remportai le prix avec un chœur d’hommes, dont les frais, avec la consécration du trépied, montèrent à 5,000 drachmes ; ajoutez-en 300, sous l’archonte Dioclès, aux petites Panathénées, pour un chœur cyclique. Depuis, pendant sept années, je fus triérarque, ce

  1. Donat., Prolegom. in Terent.
  2. Alciphr., lib. iii, Epist. 71.
  3. Environ 4,580 fr. de notre monnaie.
  4. Lysias, Pro Aristoph. bonis, pag. 642-643.
  5. id., Defens. muner., pag. 698-700.
  6. La seconde année de la 92e olympiade.
  7. Environ 2,750 fr. de notre monnaie.