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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

rité, c’est à coup sûr la forme lyrique ; car le poète qui écrit une ode, une élégie, trouve en lui-même, en lui seul, tous les élémens de son œuvre. Qu’il célèbre la gloire de son pays, une bataille gagnée, ou la chute d’une dynastie parjure, il ne prend conseil que de son émotion ; il a sous les yeux le modèle qu’il se propose de reproduire. Nulle forme poétique n’est donc plus voisine de la vérité que la forme lyrique. Eh bien ! dans les Feuilles d’Automne, M. Hugo est demeuré bien loin du modèle idéal qu’il avait accepté. Habitué à peindre la couleur qui éblouit les yeux, à mêler dans ses strophes l’azur du ciel et l’azur de la mer, la verdure des chênes centenaires et la verdure des prairies, les sabres damasquinés et les housses brodées d’or des cavales numides, lorsqu’il a tenté de sonder les mystères de sa conscience et d’interroger le monde invisible, lorsqu’il a cherché le thème de ses chants dans la région des idées, le livre qu’il consultait est resté sourd au plus grand nombre de ses questions ; c’est à peine s’il a pu épeler quelques phrases de ce livre mystérieux qui n’était pourtant que lui-même. J’ai donc raison d’affirmer que les Feuilles d’Automne expliquent les romans et les drames de M. Hugo.

Les Chants du Crépuscule expriment un découragement que ne présageaient pas les Feuilles d’Automne. Las de la lutte qu’il a soutenue contre sa pensée rebelle, le poète retourne à ses puériles habitudes. Il n’essaie plus de peindre le monde intérieur ; ou s’il lui arrive de nommer une idée, il se hâte de l’ensevelir dans une draperie de mots innombrables ; et sans retrouver l’éclat des Orientales, il demeure bien loin de la vérité des Feuilles d’Automne. L’unité manque absolument aux Chants du Crépuscule ; l’auteur avait annoncé un recueil de poésies politiques, ce recueil est encore à naître ; mais il y a çà et là dans le volume publié en 1835, plusieurs pièces qui appartiennent évidemment au recueil que nous n’avons pas. Cependant M. Hugo a tenté de rallier à une pensée unique les élémens contradictoires de ce volume, et d’éclairer d’un jour égal toutes les parties de ce monument lyrique. Mais il a eu beau faire ; l’évidence a été plus forte que sa volonté, et les Chants du Crépuscule ont frappé tous les lecteurs par leur confusion. La préface et le prélude destinés à expliquer l’intention du poète n’ont fait qu’épaissir les ténèbres qui enveloppaient toutes les pièces de ce volume. Pour le juger, il convient d’étudier successivement trois morceaux de nature diverse qui résument toutes les qualités et tous les défauts du recueil. L’ode dictée après juillet 1830 démontre clairement que M. Hugo ne comprend pas l’état mieux