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L’orgueil et la colère ont été, pour M. Hugo, de mauvais conseillers. Malgré sa rare habileté, le poète n’a pu donner à ses plaintes furieuses, à ses hymnes agenouillés, un accent capable d’éveiller les sympathies de la multitude. C’est à peine si quelques oreilles empressées ont recueilli ses hymnes et ses plaintes. Toutefois on aurait tort d’attribuer cette indifférence à la nature même des sentimens exprimés par M. Hugo, car chacun de ces sentimens, exprimé avec sincérité, ne manquerait pas d’émouvoir. Mais la forme que leur a prêtée l’auteur des Voix intérieures est tellement verbeuse, tellement prolixe, que la sympathie devient impossible. La parole est si abondante, la pensée si rare, les strophes se précipitent à flots si pressés sur l’idée qu’elles devraient porter, qu’elles l’engloutissent et la dérobent au regard. À proprement parler, la poésie, telle qu’elle se révèle dans les Voix intérieures, est un fleuve sans source et sans rivage. Il n’y a, pour elle, aucune raison d’être ou de s’arrêter. Le lit qu’elle se creuse est indéfini, sans fond et sans limite. Les lignes qu’elle décrit sont tellement capricieuses, tellement contradictoires, que l’œil le plus persévérant ne peut découvrir d’où elle vient, où elle va. Quand l’ode furieuse ou plaintive commence à bégayer les sentimens du poète, on dirait qu’elle achève une phrase commencée depuis long-temps, qu’elle récite la péroraison d’une harangue dont les premiers points ne sont pas venus jusqu’à nous, et quand elle s’arrête, quand elle ferme ses lèvres, nous attendons encore, pour la comprendre, les paroles qu’elle ne prononcera pas. Cette impression, que je traduis avec une fidélité scrupuleuse, dépend évidemment de la forme poétique adoptée par M. Hugo. C’est aux Orientales qu’il faut rapporter l’inattention et l’indifférence qui ont accueilli les Voix, intérieures ; c’est aux strophes amoureuses de leurs ailes bigarrées qu’il faut demander compte du silence et du dédain infligés à l’orgueil et à la colère du poète. S’il eût prêté à des sentimens injustes un accent simple et franc, il eût été réprouvé, mais écouté.

L’opinion que nous exprimons ici sur les œuvres lyriques de M. Hugo, paraîtra sévère à ses nombreux admirateurs ; cependant il nous semble difficile que la réflexion ne les amène pas à notre avis car personne plus que nous n’est disposé à louer ce qui est louable dans les œuvres lyriques de M. Hugo. Mais, malgré notre prédilection hautement avouée pour cette partie de ses œuvres, malgré le mérite éminent des odes qu’il a prodiguées depuis vingt ans, nous ne pouvons fermer nos yeux à l’évidence, et nous sommes forcé de reconnaître que les plus belles odes de M. Hugo n’ont qu’une beauté superficielle