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POÈTES ET ROMANCIERS DE LA FRANCE.

Jargal, du Dernier Jour d’un Condamné ; mais ce style, j’ai regret à le dire, s’est enrichi aux dépens de la pensée. Éthel, Ordener, Marie, d’Auverney, Pepita, ont disparu sans retour, et fait place à des figures habilement dessinées, j’en conviens, mais dont le modèle n’existe nulle part. L’écrivain est devenu plus habile, mais le poète s’est éloigné de plus en plus de la vérité humaine, sans laquelle il n’y a pas de poésie possible.

Gringoire, destiné, dans la pensée de l’auteur, à personnifier les misères de la condition poétique au XVe siècle, n’est qu’une caricature grimaçante, et n’excite, il faut bien le dire, ni le rire, ni la pitié. Il y a dans ce personnage un tel amour de l’avilissement, une dégradation si ardemment acceptée, un si parfait mépris pour toute dignité, que toute sympathie pour lui est impossible. Comment, en effet, s’intéresser à un homme qui n’a ni volonté, ni respect pour lui-même, ni force pour combattre la pauvreté, ni confiance dans un pouvoir supérieur au pouvoir humain ? Un tel acteur, si toutefois un tel acteur a jamais existé, est indigne d’occuper la poésie. C’est un peu plus qu’un animal domestique, un peu moins qu’un laquais. En vérité, plus je pense à Gringoire, et plus j’ai de peine à comprendre comment M. Hugo a pu être amené à personnifier la poésie dans cette espèce de mendiant qui voudrait être bouffon.

Phœbus de Chateaupers, amoureux de ses éperons et de son épée, charnel, égoïste, arrogant, a sur Gringoire un avantage positif. S’il n’intéresse pas, du moins il a pu être, et c’est un mérite qui n’est pas à dédaigner. Mais que vient faire, dans un roman, un pareil personnage ? Si l’oisiveté peut à ce point dégrader les facultés humaines, ce que je ne veux pas nier, à quoi bon mettre en scène un homme qui n’a plus d’humain que le nom ? Que Phœbus ressemble à bien des héros de garnison, je ne le nie pas ; mais je ne crois pas que de pareils héros puissent jamais exciter aucune sympathie. Je comprends très bien que Phœbus de Chateaupers n’aime pas Fleur-de-Lys Gondelaurier, mais je ne comprends pas que la Esmeralda aime Phœbus de Chateaupers ; car la beauté, qui suffit à éveiller l’amour, ne suffit pas à l’entretenir, et dès les premiers mots, la Esmeralda doit deviner que Phœbus est un homme sans cour, un homme indigne d’amour.

Claude et Jehan Frollo, le diacre et l’écolier, ne sont pas si loin de la vérité que Gringoire ; mais ces deux personnages, comme celui de Phœbus, me paraissent incapables d’exciter aucun intérêt sérieux. Qu’est-ce en effet que le diacre ? Un prêtre que la continence a rendu