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MUSICIENS FRANÇAIS.

moins à quelle source elle doit puiser. Ceux que des liens semblables attachent au Conservatoire, ne s’en éloignent guère d’habitude ; là est toute leur force, toute leur énergie, toute leur puissance ; ils le sentent ; sitôt qu’ils trébuchent, ils se hâtent d’y revenir, et, comme Antée, prennent des forces nouvelles chaque fois qu’il leur arrive de toucher du pied le sol sacré.

Au premier rang des hommes qui doivent tout au Conservatoire, existence, renommée et fortune, il faut citer M. Halévy. Voilà, certes, un musicien pour lequel la nature n’a rien fait ; car ces facultés de combinaison, qu’il possède à un assez haut degré, qui pourrait dire qu’elles n’eussent pas mieux réussi, appliquées à d’autres fins ? On prétend que Mozart, dans sa première enfance, couvrait de chiffres les murailles de sa maison. Le contrepoint est un calcul, et la musique rentre par là dans la grande famille des sciences exactes ; or l’instinct pourrait bien être le même de part et d’autre. À ce compte, M. Halévy se sera mépris, il aura tourné vers l’art des sons une aptitude que réclamaient l’arithmétique et la loi des nombres. Il y a dans les intelligences une hiérarchie, nous le savons, et tous ne peuvent être doués également. Mais encore faut-il apporter en naissant une idée, un grain mélodieux qui se développe plus tard au souffle de la science ou du sentiment. L’un a l’élévation poétique et l’expression hardie et vraie à la fois des grandes choses, l’autre la mélancolie et la grace aimable ; celui-ci, un instinct mélodieux qui l’entraîne souvent, presque à son insu, vers la diffusion ; celui-là, une verve charmante, un esprit qui ne tarit pas  ; il y a Meyerbeer, Bellini, Donizetti, Auber ; mais M. Halévy, lui, n’a rien. N’importe, au lieu de perdre son temps à se plaindre de l’ingrate nature, qui aurait bien pu lui répondre qu’elle ne lui avait jamais conseillé de se faire musicien, M. Halévy a, dès le premier jour, tenté de la réduire et de la dompter. Voyant qu’il ne se baignerait jamais dans la lumière sonore où flottent les ames inspirées, il s’est incliné sur la bêche de la science et a demandé à la terre ses trésors. Sublime entreprise faite pour démontrer jusqu’où va la volonté humaine ! Le rude musicien ne tentait là ni plus ni moins que Paracelse et ses compagnons les alchimistes ; s’il eût réussi à devenir un homme de génie, la nature était soumise, la volonté posait son pied de fer sur les mystérieuses lois de la conscience ; la Muse n’intervenait plus désormais.

D’après les tendances de M. Halévy, on pouvait prévoir de bonne heure que les sympathies de M. Cherubini ne lui manqueraient pas. Il y a au fond du cœur de l’homme, quelque chose qui parle plus haut